Ernesto Diaz-Infante : Civilian Life (Pax, 2012)
Que peut-on trouver sur ce nouveau CD du guitariste-percussionniste Ernesto Diaz-Infante ? Réponse sans attendre : du rock débranché (Sun Hypnotic, entre Bill Orcutt et Jim O’Rourke), musique de western galactique (Eeasy to Disappear Into This Fog & Memories, Like Clouds), minimalisme psychédélique (Yerba Buena), néo-folk abstrait (Palais Idéal), zen réverbéré (JT), country amorphe (La Casa Encendida) et j’en passe pour décrire ces instrumentaux auxquels travaillent tous types d’instruments à cordes mais aussi bols chantants, electronics ou field recordings.
Voilà ce qu’on trouve sur le CD en question, soit une ribambelle d’étiquettes que pourrait mettre d’accord l’expression d’expérimentation populaire. Une musique à points d’interrogation (pour les styles) et à points d’exclamation pour l’art avec lequel Diaz-Infante nous emporte et même parfois nous vide l’esprit.
Ernesto Diaz-Infante : Civilian Life (Pax Recordings)
Enregistrement : 2003-2008. Edition : 2012.
CD : 01/ Welcome to San Francisco 02/ Sun Hypnotic! 03/ Easy to Disappear Into This Fog 04/ Yerba Buena 05/ A Gentle Reminder 06/ The Morning Sun Pours Through the Window 07/ Palais Idéal 08/ Memories, Like Clouds... 09/ JT 10/ La Casa Encendida 11/ Shellacking the Sidewalk 12/ The Pedestrian Tunnel At the Conservatory of Flowers13/ Small Halo
Pierre Cécile © Le son du grisli
Natura Morta : Natura Morta (Prom Night, 2012)
C’est un disque court mais sur mesures : celles de trois jeunes musiciens associés : Frantz Loriot, Sean Ali et Carlo Costa, réunis en Natura Morta, projet dans lequel se mêlent de façons diverses violon, contrebasse et batterie. Lorsqu’ils ne sont pas préparés, les instruments tournent le dos aux techniques traditionnelles – à défaut d’être rare, la cause est ici au moins justifiée.
Alors donc les musiciens travaillent bois, cordes et peaux, marquant de leurs empreintes des instruments que l’on imagine postés à l’horizontal – dans l’arythmie de Costa, des effluves de Prévost ; dans les chassés-croisés de cordes glissantes (ici, parfois, un peu d’affect), le souvenir de Morton Feldman (l’influence n’est pas rare, elle non plus) : il n’en faut pas plus pour soupçonner des écoutes répétées d’AMM.
Plus loin, un relief commandera aux musiciens d’accélérer pour découvrir l’endroit où se terrent des monstres minuscules, et leur tendre le micro : alors, vont-ils d’aigus en crissements jusqu’à ce que Costa, au moyen d’une cymbale de petite taille, c'est-à-dire appropriée, sonne la fin de la récréation. Le bestiaire regagne les profondeurs, suivi par le trio lui-même.
Natura Morta : Natura Morta (Prom Night)
Enregistrement : 27 janvier 2012. Edition : 2012.
CD-R : 01/ Entropy 02/ Hive 03/ Marrow 04/ Glimmer
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jesper Løvdal & Günter Baby Sommer (Ilk, 2012)
Quel que soit le contexte, la résonance sera toujours au centre du jeu de Günter Baby Sommer. De la même manière qu’un Pierre Favre, Sommer refusera toujours le trop plein, les fulgurances inutiles. Ici, on respire. On distribue les cartes sans tricher. Le geste est précis, mesuré, adapté à la situation. La grave des peaux se libère, les balais fourmillent, la sécheresse est interdite de séjour.
Ainsi, Jesper Løvdal n’a plus qu’à se laisser guider par cette bienveillance. Sa flûte et sa clarinette, idéalement offensives, éclipsent quelque peu un ténor éraillé, souvent microtonal. Leader ou observateur avisé-engagé, il rejette, lui aussi, le spectaculaire au profit d’un dialogue entretenu, captivant. Vite, la suite.
Jesper Løvdal & Günter Baby Sommer (Ilk / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Real Tartare 02/ First Movement 03/ Maultrommel 04/ Voice from Beneath 05/ Billy Strayhorn 06/ Bird Call 07/ Story 08/ Fight of the Flutes 09/ Second Movement 10/ Let’s Continue 11/Goodbye
Luc Bouquet © Le son du grisli
Richard Francis, Bruce Russell : Garage Music (Alone at Last, 2012)
La troisième et dernière production du label Alone At Last est une collaboration entre le néo-zélandais Bruce Russell (guitariste de The Dead C, et ce n’est pas rien) et son compatriote électronicien Richard Francis. Résultat d’échange de fichiers (les trois morceaux Garage), captation de concert (Live) ou juxtaposition de deux sets solo (Undead), Garage Music fait totalement honneur à l’excellente réputation de la scène noise improv du pays des All Blacks.
Finalement assez éloignée d’une abstraction sonore qui pourrait effrayer, notamment sur le second titre, la manière de Russell et Francis expose un faux calme – une des caractéristiques des sorties AAL – où les grincements et grésillements font jaillir des profondeurs un entrelacs abrupt et brinquebalant. Very nice indeed.
Bruce Russell, Richard Francis : Garage Music (Alone at Last)
Edition : 2012.
CD : 01/ Garage 2 02/ Garage 3 03/ Undead 04/ Garage 1 05/ Live
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Planetary Unknown : Live at Jazzfestival Saalfelden 2011 (AUM Fidelity, 2012)
Peu à peu, faire connaissance avec le Planetary Unknown de David Spencer Ware. Ne pas condamner trop vite les bruits et les fureurs du saxophoniste. Attendre la seconde station (Precessional 2) et se laisser traverser par le cri perçant de Ware. Accepter ruades et chevauchées. S’enivrer de la démesure d’un ténor se donnant corps et âme. S’immiscer dans les libertés chèrement gagnées par Cooper-Moore. Participer à la cavalcade. Bousculer le désordre et ne plus taire les démences endormies. S’étonner des doutes et des scories de William Parker. Questionner son refus à s’extraire du troupeau (Precessional 1) et le retrouver, quelques minutes plus tard, archet vibrant et désarmant de partage et de liant (Precessional 3). Retrouver la délicatesse d’un maudit nommé Muhammad Ali. Et, enfin, lui reconnaître l’une des plus belles respirations de la free music.
Et ainsi, se griser aux vagues et aux flux, parfois incontrôlables, d’un quartet dont c’était ici la première édition live.
EN ECOUTE >>> Processional 1 >>> Processional 3
David S. Ware's Planetary Unknown : Live at Jazzfestival Saalfelden 2011 (Aum Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Precessional 1 02/ Precessional 2 03/ Precessional 3
Luc Bouquet © Le son du grisli
Thollem/Parker/Cline : The Gowanus Session (Porter, 2012)
Sous le nom de Thollem/Parker/Cline « se cachent » un pianiste, un contrebassiste et un guitariste : Thollem McDonas, William Parker et Nels Cline. Pour goûter l’art de ce-dernier (en particulier ses joutes avec Thurston Moore, sans parler de Nothing Makes Any Sense…), je m’en vais d’un pas chantant écouter The Gowanus Session.
Première déconvenue : le jeu de piano de McDonas est grandiloquent – heureusement, me dis-je, ses partenaires se plaisent à crachoter à souhait. Je me console : la solution pour que le reste sonne serait d’attacher une de ses mains derrière le dos de Thollem mais je me ravise : la solution serait que Cline se surpasse. Et il le fait d’ailleurs en aigus qui vous percent le tympan, en progressant par touches intelligentes, en maniant le manche comme pas deux (quoique, le deuxième pourrait justement être Parker). Seconde déconvenue : c’est insuffisant, la grandiloquence de Thollem McDonas est trop forte pour qu’on lui fasse grand mal. Tant pis, retour à Nothing Makes Any Sense.
Thollem McDonas, William Parker, Nels Cline : The Gowanus Session (Porter / Orkhêstra International)
Enregistrement : 3 janvier 2012. Edition : 2012.
CD : 01/ There are 02/ as many worlds 03/ in a life 04/ as there are 05/ lives 06/ in the world.
Pierre Cécile © le son du grisli
Evan Parker Expéditives
Evan Parker ElectroAcoustic Ensemble : Hasselt (Psi, 2012)
C’est une tournée de l’Evan Parker Electroacoustic Ensemble déjà documentée par ECM (The Moment’s Energy) qu’Hasselt raconte encore aujourd’hui. Trois pièces datées du 20 mai 2010, une autre du lendemain (Electroacoustic Ensemble au complet), développent une musique d’atmosphère qui traîne d’abord derrière le piano d’Agustí Fernández, ensuite derrière la contrebasse de Barry Guy. Lentement, les machines prennent le dessus : la supériorité de l’électro sur l’acoustique n’étant écrite nulle part, les instruments à vents (soprano de Parker, clarinettes de Ned Rothenberg et de Peter van Bergen) changent la donne : au cuivre de mitrailler maintenant, avec un art altier de la subtilité.
Grutronic, Evan Parker : Together in Zero Space (Psi, 2012)
Si ce n’est la faute (d’inspiration) des musiciens, alors on dira la machinerie de Grutronic peu facile d’usage, voire récalcitrante : sur Together in Zero Space, synthétiseurs, samplers, « drosscillator », sonnent parfois creux, d’autres fois avalent le soprano de leur invité, Evan Parker, pour le digérer sur l’instant dans un bruit de néant. Constructivisme d’électronique obnubilée par la musique concrète : hélas, l’effort est vain.
Evan Parker, Okkyung Lee, Peter Evans : The Bleeding Edge (Psi, 2011)
Nouveau passage par la St. Peter’s Church Whistable : en compagnie d’Okkyung Lee et Peter Evans, Evan Parker s’adonnait ce 4 mai 2010 à une « séquence d’improvisations » (sous-titre du disque). C’est là un ballet que signent les musiciens : duos et trios allant de fantaisies pâles en emportements convaincants – sur la sixième pièce, trompette, ténor et violoncelle, fomentent ainsi une miniature de superbes excentricités.
Evan Parker, Wes Neal, Joe Sorbara : At Somewhere There (Barnyard, 2011)
Enregistré à Toronto le 15 février 2009, At Somewhere There est une pièce de musique d’une quarantaine de minutes improvisée par le bassiste Wes Neal et le batteur Joe Sorbara en présence d’Evan Parker (au ténor). Son vocabulaire est celui d’un jazz poli et son contenu convenable à défaut d’être bouleversant.
Evan Parker, Kenny Wheeler, Paul Dunmall, Tony Levin, John Edwards : Live at the Vortex, London (Rare Music, 2011)
La rencontre date du 2 janvier 2003. Les protagonistes : Evan Parker, Kenny Wheeler, Paul Dunmall, Tony Levin et John Edwards. En apesanteur, les saxophones piquent droit sur la contrebasse et les tambours : un free d’allure ancienne fait feu, puis ce seront des paraphrases appliquées sur de grands pans de décors sombres. L’enregistrement, d’être désormais indispensable dans la discographie de chacun de ses intervenants.
Francisco Meirino, Dave Phillips : We Are None of Us (Misanthropic Agenda, 2012)
Sur la longueur de quatre faces gravées, Francisco Meirino et Dave Phillips rendent ici compte de travaux de laboratoire qu’ils partagent. Les deux hommes vont et viennent, remuent, tentent de combinaisons : font feu de tous bruits.
Le son capturé d’un objet de verre se brisant : du bocal s’échappent les premiers ingrédients, mouvant, au son d’une sirène que leur fuite a déclenchée. Une basse tombe alors, régulière, des éclats de voix animales trahissent un peu de quoi retournent les combinaisons imaginées par le duo, esprit et corps d’un nouveau Docteur Moreau.
Un chant de paroissiens s’en mêle, dont les oraisons seront vaines : c’est un peu de métal qu'injectent maintenant Meirino et Phillips à leur créature andis que ses premiers crissements se font entendre. Celle-ci se retournera évidemment contre ses pères. Eux, auront mis un son sur la menace – en couverture, Sereina Schwegler lui avait donné l’image d’une armée d'insectes clonés – avant de s’y abandonner tout à fait.
EN ECOUTE >>> Selcout >>> Haecceity
Francisco Meirino, Dave Phillips : We Are None Of Us (Misanthropic Agenda / Metamkine)
Enregistrement : 2005. Réédition : 2012.
LP : A-D/ 01/ Delenda 02/ Nepenthe 03/ Imbroglia 04/ Haecceity 05/ Sophomania 06/ Anhedonia 07/ Selcout 08/ Exipotic Auturgy
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Tom Soloveitzik, Korhan Erel, Kevin Davis : Three States of Freedom (Creative Sources, 2012)
Enregistrées à Jaffa en juin 2010, ces sept improvisations partagent une même qualité de clair-obscur et, pourrait-on dire, de belle grisaille – sable, scories, métal brossé. La facture sensible des pièces en question semble tenir à une soigneuse alchimie de timbres : aux frottés essentiels du violoncelle de Kevin Davis viennent s'agréger les longs harmoniques et doux slaps de Tom Soloveitzik (saxophones ténor & soprano), tandis que Korhan Erel (computer) accomplit un travail électronique efficacement discret (surfaces corrodées et lentes comètes).
Drones à tranquille ébullition ou plages plus fourmillantes, c'est sans hausser le ton mais en tenant son cap que le trio convainc. Une belle découverte.
Tom Soloveitzik, Korhan Erel, Kevin Davis : Three States of Freedom (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 2010. Edition : 2012.
CD : 01/ Arba Esre 02/ Chamesh 03/ Shmoneh 04/ Shteim Esre 05/ Eser 06/ Arbah 07/ Chamesh Esre
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Louis Laurain, Rodolphe Loubatière, Yoann Durant : Au dehors (Creative Sources, 2012)
En trente-cinq petites minutes, Louis Laurain, Rodolphe Loubatière et Yoann Durant rendent méconnaissables leurs instruments (trompette, percussions, saxophones). Sphérique est leur improvisation : le cercle est là qui veille, s’entretient, s’émancipe, se rebelle, s’évade. Leur fresque, minimale, racle le nerf jusqu’à l’axone. Les harmoniques sont denses, séditieuses. La vibration prend le temps d’initier le venin.
Leur improvisation est une improvisation d’épines et de blessures. Trente-cinq petites minutes pour faire la stratigraphie complète de la cicatrice.
EN ECOUTE >>> Au Dehors. Part 1
Louis Laurain, Rodolphe Loubatière, Yoann Durant : Au dehors (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01-06/ Part 1 - Part 6
Luc Bouquet © Le son du grisli