Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Han-Earl Park, Bruce Coates, Franziska Schroeder : io 0.0.1. beta++ (Slam, 2011)

han-earl park io beta

Un disque ne tenant pas toutes ses promesses peut, néanmoins, s’avérer passionnant. Ici, la détonante preuve.

io 0.0.1. beta+++ est un automate musical moderne. Sa sonorité, rauque au possible, évoque quelque criquet électronique enroué. Face à la machine, Han-earl Park (guitare), Bruce Coates (saxophone alto & sopranino) et Franziska Schroeder (saxophone soprano) envisagent la possibilité d’un dialogue. Mais, convenons-en : le dialogue est impossible si ce n’est en de très rares instants (4G / Laplace: Pertrurbation) ; les élans s’accordant, on ne sait trop comment. Ailleurs, l’échec se consomme, la machine n’est plus qu’anecdotique. Et ce sont dans ces instants précis – et précieux-– (solos, duos, rarement trio) que ce disque passionne. Généreux, torsadant leurs souffles, décomplexés, oubliant la machine ; Park, Coates et Schr improvisent avec décontraction et naturel (saxophones rugissants ou expérimentant la litanie, guitare grouillante et acide). Il fallait donc en passer par là pour faire éclore la sombre beauté de leur musique. Voila, c’est fait.

Han-Earl Park, Bruce Coates, Franziska Schroeder : io 0.0.1. beta++ (Slam)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Pioneer: Variance 02/ Pioneer: Dance 03/ Ground-Based Telemetry 04/ Discovery: Intermodulation 05/ Discovery: Decay 06/ 4G 07/ Laplace: Perturbation 08/ Laplace: Instability 09/ Return Trajectory
Luc Bouquet © Le son du grisli



Steve Roden : A Big Circle Drawn With Little Hands (Ini.Itu, 2012)

steve roden a big circle drawn with little hands

Avoir dû chroniquer Proximities m’a fait retrouver le chemin de Steve Roden. Il aura fallu ça. C’est qu’on se croit parfois si familier de l’électronique minimaliste qu’on pense, et c’est dommage, pouvoir se passer d'écouter telle ou telle nouveauté, telle ou telle nouvelle collaboration (celle de représentants de l’école « lowercase » : Steve Roden / Richard Chartier / Bernhard Günter / Taylor Deupree…).

Deupree au mastering, c’est en solo que Roden nous revient avec A Big Circle Drawn With Little Hands, LP tout juste sorti sur la remarquable écurie belge Ini.Itu. S’il œuvre ici dans une veine expérimentale, l'Américain ne se départit pas d’une atmosphère cotonneuse qui a fait sa réputation et qui peut revêtir ici les atours d’une Music for Airports nouvelle génération (reloaded ?). Car son ambient est faite de nappes synthétiques, de loops vacillantes et de field recordings mais aussi fait la part belle à des présences (un groupe d’aliens, un chat qui ronronne, un fantôme d’enfant sur une balançoire). Ce sont les images que je me suis faites de ces présences qui se fondent dans le décor, et j’avoue qu’elles parlent assez mal de ce que contient ce disque. Pour plus de précision, je conseillerais simplement d'écouter ces deux extraits et même, pour ne pas rater le coche, de vous ruer sur l’une des 250 copies d’A Big Circle Drawn With Little Hands, le nouveau chef d’œuvre de Steve Roden.

EN ECOUTE >>> Sparks from One Hand on Fire >>> Forty Hands in Anticipation of a Word

Steve Roden : A Big Circle Drawn With Little Hands (Ini.Itu)
Edition : 2012.
LP : A1/ Sixteen Hand Waiting for Rain A2/ Two Hands Submerged in Water A3/ Sparks from One Hand on Fire B1/ Two Hands behind Glass B2/ One Hand Pressing a Pencil Against a Tree B3/ Forty Hands in Anticipation of a Word
Pierre Cécile © Le son du grisli

couleurs roden

Steve Roden en Ille-et-Vilaine. Exposition de ses œuvres sonores et plastiques – dont les pièces Blinking Lights at Night et Four Words for Four Hands, transcription cinétique d'une partition de Debussy – au Bon Accueil de Rennes et à la Chapelle Saint-Joseph de Montfort-sur-Meu.


Mal Waldron : Blood and Guts (Futura, 2012)

mal waldron blood and guts

L’amitié qui lia le pianiste américain Mal Waldron et le producteur français Gérard Terronès dès 1965, année de l’installation du musicien en terre européenne, permit à quatre disques de voir le jour. La seule année 1970 en vit naître deux, témoignages de concerts donnés par Waldron au Centre Culturel Américain à Paris, et parus sur le label d’alors de Terronès, Futura. Le 19 novembre 1970 était enregistré le disque de piano solo The Opening. Quelques mois plus tôt, le 12 mai, Waldron se produisait aux côtés des musiciens français Patrice Caratini (contrebasse) et Guy Hayat (batterie). Si l’un demeure désespérément rare, l’autre, Blood And Guts, est réédité par les disques Futura et Marge.

Blood And Guts, ce sont quatre titres, excédant chacun dix minutes : trois compositions de Mal Waldron (Blood And Guts, Down At The Gill’s et La Petite Africaine) et une reprise du standard My Funny Valentine. Quatre longues interprétations hypnotiques qui font resurgir ces mots d’Alain Tercinet au sujet du pianiste : « Une grande économie de moyens, aussi bien dans son jeu que dans son écriture, et une gestion « virtuose » de la réitération lorsqu’il improvise, ce qui n’est pas sans engendrer une espèce de fascination. » Ce disque semble en effet proposer l’essence de la musique de Waldron, et la configuration en trio, que le pianiste affectionnait par-dessus toute autre, lui permet en un seul geste de se poster tantôt en rythmicien, tantôt en mélodiste. Tout l’art de Waldron est là : la fausse simplicité de ses mélodies et l’attention au silence, héritées de Thelonious Monk, ainsi que la danse-transe d’accords inlassablement répétés.

Le disque s’ouvre avec le titre Blood And Guts, au rythme enlevé. Mal tourne autour de la mélodie, la cerne en une course de plus en plus rapide, la travaille jusqu’à la mettre à nu, pour soudain se taire, littéralement s’évanouir. Après un très beau solo de contrebasse, Mal réveille son piano, le remet debout, titube et trébuche avec lui puis, soutenu par la batterie, retrouve lentement force et boussole. Dans ce corps à corps du pianiste avec son instrument, Patrice Caratini et Guy Hayat sont toujours justes, précis, ne sombrant  jamais dans une virtuosité vaine mais faisant plutôt résonner en leurs instruments la voix singulière de Waldron en reprenant à leur compte des éléments de son discours.

Blood And Guts est un disque de joie : la joie de jouer ensemble, la joie de faire émerger d’un bloc de rythme la source pure et fragile d’une mélodie, la joie d’arpenter les touches du piano comme on dévale un torrent, la joie de tout envoyer valser enfin. Cette réédition est un événement et nous rappelle que Mal Waldron nous manque terriblement.

Mal Waldron Trio : Blood and Guts (Futura / Souffle Continu)
Enreigstrement : 12 mai 1970. Réédition : 2012.
CD : 01/ Down At The Gill's 02/ My Funny Valentine 03/ La Petite Africaine 04/ Blood And Guts
Pierre Lemarchand @ le son du grisli


Sebastian Lexer, Eddie Prévost, Seymour Wright : Impossibility in its Purest Form (Matchless, 2012)

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Et si l’idée était celle de s’arrêter une heure ? Sur le bleu du digipack et les tripoutres aux contours noirs qui s’y forment ? Une heure à intégrer de tout son corps un labyrinthe d’Escher avec dans les oreilles les improvisations d’Impossibility in its Purest Form. C'est-à-dire prendre le grand escalier et marcher sans s’arrêter en tenant compte des suggestions de la musique : ici à droite, à gauche plus loin, à moins qu’il ne faille déjà revenir en arrière ?  

On connaissait l’indétermination en musique, voici qu’a sonnée l’heure de l’impossibilité – son symbole est-il donc le triangle de Penrose. Un peu plus haut, conseille la première improvisation : Eddie Prévost (percussions) et Seymour Wright (saxophone alto) étirent des notes au maximum de leur possibilité, créent des rythmiques qui vouent au cercle une obsession sans bornes. Après quoi, Prévost et Sebastian Lexer (piano+, pour dire son piano préparé / augmenté) désignent une pièce qui ressemble à un atelier dans lequel on lustre le cuivre et on irrite le bois : à la suite des musiciens, l’auditeur s’y engouffre : l’espace créé des résonances qui le promènent dans une galerie de miroirs déformants. Sorti de là, il faudra suivre le chassé-croisé de Lexer et Wright : folle, leur imagination ne permet pas moins au troisième élément qu’est leur duo de terminer la structure – en musique, rien d’impossible.

Quelques semaines plus tard, le trio enregistrait Impossibility in its Purest Form. A entendre ici, des instruments sous étouffoirs avant que la signalisation mise en place par Wright ne décide de routes bientôt investies par quelques lignes longues, qui interfèrent et résonnent. Une pièce de musique qui, à plat et avec grâce, raconte les trois autres – en musique, rien d’impossible.

Sebastian Lexer, Eddie Prévost, Seymour Wright : Impossibility in its Purest Form (Matchless / Metamkine)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Trilinear α (Prévost/Wright) 02/ Trilinear β (Lexer/Prévost) 03/ Trilinear γ (Wright/Lexer) 04/ Impossibility in its Purest Form 23:26
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Sabu Toyozumi : Kosai Yujyo / Jeff Shurdut : Bound and Gagged (Improvising Beings, 2012)

sabu toyozumi kosai yujyo

D’un batteur-percussionniste au parcours singulier (d’un inattendu big-band nippon de Mingus en passant par l’AACM, son duo avec Peter Brötzmann et ses récentes amitiés musicales avec Jean-Michel Van Schouwburg ou John Russell), nous découvrons ici neuf instantanés enregistrés récemment entre Bruxelles, Paris et Göttingen.

Dans tous les cas de figure, une constante s’impose : Sabu Toyozumi écoute, partage, s’attache à densifier la matière. On l’entendra ainsi s’amuser et prolonger les frasques vocales de Jean-Michel Van Schouwburg, craqueler les peaux ici, interpeler un son et ne plus le lâcher ailleurs. S’adaptant à toutes les situations (son iconoclaste manière d’envisager l’erhu, instrument traditionnel chinois n’y est pas étrangère), sensible ici, explosif ailleurs, Sabu et ses amis (mentions particulières aux spirales foudroyantes de Jacques Foschia, Audrey Lauro, Ove Volquartz) débordent, ici, d’une vitalité exemplaire.

Sabu Toyozumi : Kosai Yujyo (Improvising Beings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010-2011. Edition : 2012.
2 CD : CD1 : 01/ Kris’Wish 02/ The Last Feather 03/ Strongsth 1 04/ Strongsth 2 05/ Unknown Sketch – CD2 : 01/ Above Nino 02/ Raw Drink 03/ Sands’Witch 04/ The Göttingen Cadenza
Luc Bouquet © Le son du grisli

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Fidèle à ses habitudes, Jeff Shurdut fredonne bruit et fureur. Si sa guitare est moins tonitruante que d’ordinaire, son alto lacère sans anesthésie la chair vérolée. Son saxophone hurle un free jazz frauduleux, bombarde une transe offensante. S’enveniment maintenant des résonnances aux origines incertaines. Mais rien ne dure très longtemps. Il faut tout dire en trente-cinq minutes, douze plages et de fait, reprendre le chaos là où il s’était tu. Avec Jeff Shurdut, Gene Janas et Marc Edwards, on ligote, on bâillonne, on ignore tout de la fin du voyage, on navigue sans bouée de sauvetage, on descelle la cohérence et on y prend goût.

Jeff Shurdut, Gene Janas, Marc Edwards : Bound & Gagged (Improvising Beings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01-12/ Bound & Gagged.
Luc Bouquet © Le son du grisli



Burton Greene : Presenting Burton Greene (CBS, 1969)

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Ce texte est extrait du dernier des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

Une célèbre photo prise au milieu des sixties montre le pianiste blanc Burton Greene au milieu de ses confrères Bill Dixon, Paul Bley, Mike Mantler, Archie Shepp, Sun Ra, Carla Bley, Cecil Taylor, Roswell Rudd et John Tchicai. Tous appartenaient alors à la Jazz Composers’ Guild, coopérative créée en 1964 à New York à l’initiative de Bill Dixon, et dont le but était d’améliorer les conditions de travail des musiciens d’avant-garde. Avant que des dissensions n’en aient raison, quatre jours de concerts au Judson Hall purent rendre compte du travail accompli. Malgré la « caution » que conférait cette appartenance à l’association, où Noirs et Blancs œuvraient d’ailleurs à des recherches voisines avec la même créativité, LeRoi Jones (qui ne se faisait pas encore appeler Amiri Baraka) épingla Burton Greene (en 1966 précisément) dans la rubrique Apple Cores qu’il tenait alors dans le magazine de jazz américain Downbeat. Et pourquoi ? Parce qu’il se trouvait que Burton Greene venait de donner un concert à Newark, au cours duquel un piano, passablement délabré avant même que le musicien ne monte sur scène, fut joué depuis l’intérieur car il n’aurait tout bonnement pas pu sonner autrement ! La légende veut en effet qu’il ait manqué à l’instrument pas moins d’une bonne vingtaine de touches situées au centre même du clavier ! Il n’en fallut pas plus à LeRoi Jones, alors aveuglé par le Black Power, pour ne voir en Burton Greene qu’un blanc-bec branché de plus – et opportuniste qui plus est… Greene, qui joua pourtant avec Archie Shepp dans le cadre de l’album engagé Poem For Malcolm, et à qui Byard Lancaster et Sunny Murray, deux musiciens noirs qu’on ne peut accuser de concessions, conseillèrent de riposter par la musique ! Tout ceci est désormais consigné dans l’autobiographie de Burton Greene : Memoirs Of A Pesty-Mystic. Toujours est-il que Greene fut le premier pianiste de jazz à jouer dans le piano, John Cage et Henry Cowell ayant certes exploré des voies similaires dans le domaine de la musique contemporaine quelques années auparavant.

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LeRoi Jones aux U.S.A. ; Alain Gerber en France. Dans Jazz Magazine, même époque, ce dernier à propos du duo Burton Greene / Maarten Van Regteren Altena (Celesphere, Futura Records) : « Burton Greene est blanc et cherche une solution blanche à son problème : rompre avec un certain jazz historiquement (économiquement, idéologiquement) situé. Loin en amont, des Noirs pareillement hantés retrouvent la tradition louisianaise, le blues, les chants de travail, une Afrique fantasmée, et, tout au travers, les cris et les rumeurs du ghetto. Greene et les Blancs, eux, ne peuvent pas se révolter avec leur passé de race, de classe. Ce serait le cautionner, et avec lui toutes les déterminations qui l’ont fait ce qu’il a été. Bon gré mal gré, ils sont obligés de faire table rase. Ils le renient : ce n’est pas seulement qu’ils lui sont infidèles, c’est aussi et surtout qu’ils refusent de le reconnaître pour leur passé. Ils tâchent de perdre la mémoire, tandis que les Noirs font effort pour la retrouver. Ce renoncement, bien sûr, est un acte de luxe. Pour nantis exclusivement. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Sans doute, ils ne veulent pas se lancer, rageusement, à la recherche d’un paradis perdu. Ce qu’ils ont perdu n’est pas un paradis. De plus, ils ne l’ont pas perdu, plus justement, ils s’en sont débarrassés. »

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Semble-t-il, c’est ignorer que Burton Greene a toujours été attiré vers une synthèse, naturelle chez lui, du jazz et de la musique classique ; fusion qu’il entendait accomplir avec un maximum de liberté. Burton Greene a été biberonné à l’écoute des romantiques Rachmaninov et Debussy, de même que pour lui la musique baroque a fini par représenter une sorte d’idéal spirituel exaltant. Si Burton Greene, en matière de jazz et par l’intermédiaire d’une amie d’Horace Silver, découvrit assez jeune Bud Powell, Lennie Tristano ou Lee Konitz, il n’en a pas moins intensément aimé, et en parallèle, Bach, Monteverdi ou HaendelBurton Greene à Laurent Goddet, dans Jazz Hot : « Au début des années soixante, une chose me troubla : j’étais en train d’essayer de me faire une place dans un monde dominé par les innovateurs noirs. Et dans les cercles extrémistes, on pouvait entendre que la race blanche tout entière s’était desséchée, qu’elle était morte, et que nous tirions notre nourriture spirituelle et physique exclusivement de l’homme noir. Je me suis finalement rendu compte que je possédais une énergie m’appartenant en propre, mais que j’avais souvent besoin de la décontraction et du swing du langage noir afin d’être à-même de fournir des contours à cette énergie. C’est ici qu’il a fallu conclure un marché : les Noirs ont donné le mortier et les briques pour de nouvelles fondations, et nous, nous pouvions en revanche offrir de beaux blocs de construction en provenance des Bach, des Beethoven, des Bartók, des Messiaen. » Difficile, également, de cautionner de tels propos dans leur totalité, la Great Black Music ayant, elle aussi, offert de « beaux blocs de construction », ce à quoi s’est toujours attelé un Roscoe Mitchell par exemple. Disons que Burton Greene, qui allait se renommer Narada sous la houlette de son maître Swami Satchidananda, cherchait sa voie dans un jazz libéré, et qui finirait par devenir « baroque » à sa manière et sous sa coupe.

Progressivement, et dès ce disque Columbia produit par John Hammond, comme quelles que soient les innovations technologiques sollicitées (ici du Moog çà et là), Burton Greene célèbrera un héritage et des traditions lui appartenant en propre puis intégrés au sein d’un vocabulaire nouveau : cette fameuse Nouvelle Chose dont il fut l’un des chantres américains convaincants, et à laquelle se livrent aussi, sur Presenting Burton Greene, Byard Lancaster, Steve Tintweiss et Shelly Rusten. Beaucoup plus tard dans la carrière de Burton Greene, en duo avec le saxophoniste Keshavan Maslak par exemple, les influences extérieures au jazz (indiennes notamment) s’exprimeront avec plus de clarté dans l’intention, au fil de séquences répétitives au lyrisme paisible et enchanteur. 

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Blip : Dead Space (Bocian, 2012)

blip dead space

S’emparant de la rumeur laissée par le passage de Calibrated, Jim Denley et Mike Majkowski ont pensé un disque blanc en hommage à leurs pères récemment disparus. Non pas un Chant des morts mais un Chant du départ qui connaît sept fins dont l’association fond les couleurs du crépuscule dans ce blanc affiché.

En artificier, Majkowski ouvre le thrène : la contrebasse à propulsion, dont les cordes frémissent ou palpitent, porte le saxophone et les flûtes de Denley menacées sans cesse d’aphonie, sinon de raucité. Quand le duo ne compose pas de concert avec les nuances d’ombres et de soupirs, ses éléments peuvent s’opposer : ainsi l’alto est-il pris d’affolement, sur Third Ending, face aux graves excavés par l’archet ; ailleurs le même trouve le moyen d’entrer dans le ventre de la contrebasse où il trouve un écho superbe à son désœuvrement.

Œuvre au noir de circonstance née de peines dissoutes sur le mouvement d’une berceuse retardataire, Dead Space est, « au final », un grand-œuvre de représailles et de consolation.

Blip : Dead Space (Bocian / Metamkine)
Enregistrement : 26 juillet 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ First Ending 02/ Second Ending 03/ Third Ending 04/ Fourth Ending 05/ Fifth Ending 06/ Sixth Ending 07/ Seventh Ending
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Trigger : The Fire Throws (Insubordinations, 2012)

trigger the fire throws

L’introduction a quelque chose d'une étonnante mise en garde. Comme si Chris Heenan, Matthias Müller et Nils Ostendorf nous conseillaient de ne pas trop nous approcher, de ne pas aller au-delà des premières secondes de leur enregistrement tout en jouant des codes de la pire séduction, celle dont on ne revient pas.

La clarinette contrebasse, le trombone et la trompette ont beau bourdonner, on  avance d’abord d’un pas égal, ensuite avec confiance. Les duels improvisés, les tons sur lesquels le trio grave des voies qui nous mènent à un réductionnisme qui respecterait les stations d’une progression inévitable., n'ont aucun effet sur notre détermination Ce réductionnisme coule et sa texture s’affaiblit toujours, un peu comme l’homme perd de ses forces en vieillissant. Il n’en faut pas davantage pour parler ici d’un réductionnisme à taille humaine, qui nous chuchote à l’oreille ses rêves de splendeur et ses faiblesses inévitables. C’est comme ça (pour ça ?) que nous le comprenons.

EN ECOUTE >>> Karst

Trigger : The Fire Throws (Insubordinations)
Téléchargement :gratuit / CD : 01/ Karst 02/ Talus 03/ Littoral 04/ Anchialine 06/ Fracture 07/ Scree 08/ Tufa 09/ Corrasional
Enregistrement : décembre 2010. Edition : 2012.
Héctor Cabrero © le son du grisli


Hugo Carvalhais : Particula (Clean Feed, 2012)

hugo carvalhais particula

Le sentiment d’inaccompli qui parcourait le dernier enregistrement d’Hugo Carvalhais (Nebulosa / Clean Feed) n’encombre plus les compositions du contrebassiste portugais. Il reste, néanmoins, ça et là, quelques accents d’incertitudes, quelque fébrilité à lever l’ancre. Témoin ce trio se définissant par la mise en abime d’un motif  et n’annonçant en rien les zones de suspensions à venir. De même, un soprano décomplexé ici et monocorde ailleurs, n’aide pas à unifier une musique qui, de toute évidence, refuse les liens trop faciles.

Musiciens déambulant sans destination, affrontant la masse sans restriction aucune (le piano omniprésent de Gabriel Pinto est une petite merveille de présence et de soutien) ou s’aventurant en des quartiers ambigus, Emile Parisien, Gabriel Pinto, Dominique Pifarély, Mario Costa et Hugo Carvalhais gagnent à s’entourer de mystères, ici, jamais tout à fait élucidés.

Hugo Carvalhais : Particula (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Flux 02/ Chrysalis 03/ Simulacrun 04/ Capsule 05/ Omega 06/ Madrigal 07/ Cortex 08/ Generator 09/ Amniotic
Luc Bouquet © Le son du grisli


Francisco López : Untitled (2010) (Alone at Last, 2012)

francisco lopez untitled alone at last

Pour sa sortie initiale, Alone At Last – officine de Dmitri Vasilyev dont les productions porteront dans un segment solitaire, et seront à apprécier loin des furies du monde, plongé chez soi dans un roman crépusculaire ou isolé des conversations en terrasse sous un casque Dr Dre – donne dans le très connu : l’incontournable Francisco López.

Pour un double CD : Untitled (2010). Claustrophobe tout en conservant ce formidable aspect racé, l’œuvre de l’artiste espagnol intrigue toujours autant qu’elle fascine, des centaines de tracks plus tard. Tout en demeurant dans une oscillation entre calme précaire, voire planant, et déclinaisons postindustrielles, les imbrications sonores de López continuent de porter une marque de fabrique unique, où le sens du détail et de l’enluminure embaume à jamais vers l’interstellaire (Eliane Radigue, anyone ?).

Francisco López : Untitled (2010) (Alone at Last)
Edition : 2012.
2 CD : CD1 : 01/ Untitled #247 02/ Untitled #248 03/ Untitled #242 04/ Untitled #246 – CD2 : 01/ Untitled #241 02/ Untitled #264 03/ Untitled #265 04/ Untitled #268 05/ Untitled #269
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli



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