Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Pascal Battus, Bertrand Gauguet, Eric La Casa : Chantier 1 (Another Timbre, 2012)

battus gauguet la casa chantier 1

Jeunes, nous aimions traîner aux abords du grand chantier. Avec la nuit, les bruits l’avaient fui, le silence et ses mystères avaient repris leurs droits. Des années à profiter de l’excavation, à tourner autour des poteaux de béton et à se méfier des câbles, à se faufiler sous le ciel en ouvertures qui donnaient d’une future pièce à un futur couloir, d’un futur couloir à un escalier de trois ou quatre marches seulement... Aujourd’hui l’immeuble de notre aire de jeu dépasse nos maisons d’enfance de huit étages.

Voilà le souvenir qui m’est revenu en voyant la pochette de ce CD de Pascal Battus (surfaces rotatives, objets trouvés), Bertrand Gauguet (saxophones et effets) et Eric La Casa (micros et enregistrements). Voilà le souvenir qui m’est revenu en lisant que les deux premières pièces du CD ont été improvisées en studio par des musiciens qui se souvenaient avoir joué ensemble sur un chantier : c’est l’expérience du 13 septembre 2011 que l’on peut entendre sur les plages 3 à 7.

Un autre jeu sur ce chantier du quatorzième arrondissement de Paris. L’improvisation avec ses imprévus puisque les musiciens cheminent dans le labyrinthe et rencontrent des ouvriers qui y travaillent. A l’un d’eux, un membre du trio avoue : ils sont venu faire « de la musique avec tous les sons. » L’occasion pour les musiciens de se mesurer à un lieu de travail au quotidien, des sons qui lui appartiennent et des manies qui le font tourner. J’entends donc à mon tour que l’on tape, que l’on frotte, que l’on ajuste, que l’on perce : comme souvent chez La Casa, on est venu chercher ce qu’un enregistrement in situ peut nous révéler aussi bien que nous cacher, ce qu’il induit, ce qu’il soupçonne. Il y a aussi la conversation des ouvriers qui couvre soudain le saxophone de Gauguet ou les objets de Battus : de qui le chantier est d’abord l’espace ?

En studio, Battus remet en marche les moteurs, Gauguet revient sur les crissements, La Casa s’engouffre encore dans le risque. Les murs ont changé de place parce que la réinvention est poétique, tout sauf concrète. D'ailleurs, ces sons résonnent bien dans ma maison d’enfance, plus sombre elle aussi aujourd'hui qu’avant.

Pascal Battus, Bertrand Gauguet, Eric La Casa : Chantier 1 (Another Timbre)
Enregistrement : 13 septembre 2010 & 28 avril 2011. Edition : 2012.
CD : 01-07/ Chantier 1
Héctor Cabrero © Le son du grisli



Danthrax : Danthrax (Trigger!, 2012)

danthrax

Les pièces que Choi Joonyong (platine CD) réunit ici sous le nom de Danthrax* n’ont rien à envier à la vigueur d’Anthrax. Toutefois différente, celle-ci invite une imagination galopante à discourir le temps de quelques secondes, de neuf minutes au maximum.

Les soubresauts du disque en proie aux effets du laser, Choi Joonyong en fait l’élément porteur de son ouvrage expérimental : sauts de puce et cascades, saillies de grisailles chuintant, exosquelettes de syntax error ou transports express de bourdonnements, servent une abstraction brute ou une composition rythmique hoquetant : voici Choi Joonyong changé en Alva Noto hardcore sous costume Groggy Digital, et son Danthrax déclarée nouvelle menace infectieuse.

Danthrax : Danthrax (Trigger! Recordings)
Edition : 2012.
01/ Intro To Digitality 02/ Among The Clipping 03/ I Am The Discman 04/ Fistful Of Plastic 05/ Antishock 06/ Skip The Time 07/ Deathrax 08/ Starting Up A Pause 09/ Caught In Ejection 10/ State Of Moratoria 11/ Resume The Noise 12/ Spreading The CDs 13/ Deathrax(Reprise)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Mazz Swift, Tomeka Reid, Silvia Bolognesi : Hear in Now (Rudi, 2012)

mazz swift hear in now

Si ce n’est l’orchestration et une certaine mélancolie bartokienne, le classicisme déserte la musique de Mazz Swift, Tomeka Reid et Silvia Bolognesi. N’ayant pas le jazz dans sa poche mais dans ses vifs archets, chacune des compositions de ce disque rivalise de clarté et d’audace.

Les thèmes sont tranchants comme des couperets mais le motif est élémentaire, plus rythmique que mélodique, et l’une peut facilement poursuivre ce que l’autre a commencé. Ainsi, en s’échangeant les rôles mais en n’abusant jamais de la formule, les cordes peuvent s’entrelacer, tout en assurant une métrique précise. Les cordes ne sont jamais grouillantes mais attirent de vifs glissendis en leur centre, un petit peu à la manière d’un William Parker, conquis et signant, ici, d’élogieuses notes de pochettes. Les surprises ne sont pas rares (un chant érudit et lumineux qui s’élève en fin d’enregistrement, un archet très Donald Duck que n’aurait pas renié un Chambers des grands soirs) et finissent de nous rendre ce disque indispensable.

Mazz Swift, Tomeka Reid, Silvia Bolognesi : Hear in Now (Rudi Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Cakewalk 02/ Spiderwoman 03/ Bassolo / Far East Suite 04/ La citta’ di loup 05/ L’albero secco 06/ Effendi 07/ Ova 08/ Impro I 09/ Ponce 10/ Malitalian Lullaby
Luc Bouquet © Le son du grisli


Fanny Paccoud, Jean-Marc Montera : 13 impros (GRIM, 2012)

fanny paccoud jean-marc montera 13 impros

13 impros inspirées par autant de peintures d’artistes de Marseille (de toutes époques, leurs noms donnent leurs titres aux morceaux) à Fanny Paccoud (violon, alto, doudouk, scie musicale…) et Jean-Marc Montera (guitares, synthétiseur analogique). On peut se laisser aller à la rêverie musicale ou voir dans ces œuvres (reproduites et assemblées avec le disque vinyle dans un coffre à bijoux) des partitions graphiques d’un nouveau genre puisque, vous dit-on, elles s’improvisent.

Mais au diable la méthode ! D’autant que la paire Paccoud / Montera sait se montrer efficace – notamment pour faire oublier à leurs auditeurs qu’ils sont pour l’essentiel en présence d’un violon et d’une guitare. Sur le fil elle tisse un folk souterrain, un minimalisme automate, un baroque déclinant ou une ambient fantomatique. Sans perdre son âme le violon se laisse convaincre par une guitare amatrice d’éclectisme électrique – que Montera a en partage avec Lee Ranaldo, Thurston Moore (cf. Les anges du pêché) … – et de ruptures chromatiques. Enhardie par l’expérience de son partenaire, Paccoud brise les codes et mélange les genres pour réaliser la bande-son que ne pouvait espérer Marseille 2013 (impros). La parenthèse est enchantée et enchanteresse !

Fanny Paccoud, Jean-Marc Montera : 13 impros (GRIM)
Edition : 2012.
LP : A01/ Baquié A02/ Autard A03/ Ceccarelli A04/ Puget A05/ Klemensiewicz A06/ Delbès B01/ Scoccimaro A02/ Boyer A03/ Alt A04/ Daumier A05/ Camoin A06/ Bolino
Pierre Cécile © Le son du grisli

 


Platform 1 : Takes Off (Clean Feed, 2012)

platform 1 takes off

Au nombre des projets de Ken Vandermark, il faudra désormais compter avec Platform 1, qui l’associe à deux recrues de Resonance (Magnus Broo, Steve Swell) ainsi qu’à Joe Williamson (contrebasse) et Michael Vatcher (batterie). Les 5 musiciens se partagent les compositions.

Ce qui d’abord implique la mise en place d’un brass band affolé (Tempest, épreuve dolphyenne signée Swell, combinée à 2A>2B de Broo) au sein duquel le saxophone ténor jouera des coudes avant de plier sous la force d’un vent latin. Imposant Station, Vandermark répond à l’affront qui lui a été fait par une pièce de réflexion, qui joue d’unissons et de gimmicks mêlés. La trompette de Broo y trouve à dire autant que sur Compromising Emanations (Swell) à l’occasion des récréations que la composition réserve aux instruments à vent.

Le sombre climat de Deep Beige (Williamson) prouvera encore qu’une émotion profonde peut être exprimée pleinement quand un hommage à Roswell Rudd (In Between Charis, Vandermark) rétablira la balance en offrant à Williamson et Vatcher le soin de conduire un bel exercice de bop outragé. Et Takes Off aura tout dit ; pleinement.

Platform 1 : Takes Off (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 27 et 28 mai 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Tempest – 2A>2B 02/ Portal 33 03/ Station 04/ Dim Eyes 05/ Compromising Emanations 06/ Deep Beige + For Derek’s Kids 07/ In Between Charis
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Insub Meta Orchestra : Archive #1 (Insubordinations, 2012)

insub meta orchestra archive1

45 musiciens (Christian Müller, Christophe Berthet, Christoph Schiller, Cyril Bondi, Florence Melnotte, Hannah Marshall, Patricia Bosshard, Rodolphe Loubatière…) s’ouvrent à la menace. Approfondissent la ligne, réduisent son isolement, diffèrent le chaos, font l’éloge des choses souterraines.

Dans cet atelier, une sourde respiration ouvre les débats. La machinerie, maintenant, s’active et délivre ses vifs roulis. Un court et impressionnant crescendo surgit. La cassure intimide la ligne mais échoue à la briser totalement. Et c’est précisément, cette ligne qui fait office de lien et assure sa dense continuité aux cinq conductions de ce disque.

Fondé en septembre 2010, l’Insub Meta Orchestra signe ici son premier enregistrement (disponible en CD ou en téléchargement gratuit). La menace est à prendre au sérieux.

EN ECOUTE >>> Punkte und Flächen >>> Miroir

Insub Meta Orchestra : Archive #1 (Insubordinations netlabel)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD / Téléchargement libre : 01/ Punkle und Flächen 02/ Et si… 03/ The Living Dust 04/ Miroir 05/ Lava Underground 06/ Set Sail, Finally
Luc Bouquet © Le son du grisli


Neil Campbell, Robert Horton : Trojandropper (Zum, 2012)

neil campbell robert horton trojandropper

Deux expérimentateurs touche-à-tout, Neil Campbell (Astral Social Club, Vibracathedral – faire apparaître entre parenthèses le nom de groupes ne signifie pas que le rédacteur les connaît vraiment) et Robert Horton (vieux briscard de The Appliances ou Plateau Ensemble), s’attaquent au disco en rendant hommage au virus qui infecta l’ordinateur personnel d’Horton

C’est dire de quelle nature est le projet et que le disco dont on parlera ici ne sera pas celui de Monsieur Toulemonde. En effet, cette musique dansante là est foutraque, tour à tour rétrofuturiste, noise, big beat, impulsive, mécanique, débordante d’instruments (basses et guitares électriques, casios et harmoniums, etc. et le saxophone soprano de Dan Plonsey). D’un expérimental magnifique et efficace en diable, Trojandropper se réserve sur sa fin un sample de disco (le vrai celui-là) et nous convainc que Campbell et Horton avaient raison dès le début : c’est bien là du disco ! Mais un disco d’un nouveau siècle. Et on en redemande !

Neil Campbell, Robert Horton : Trojandropper (Zum)
Edition : 2012.
LP : A1/ Child's Tongue Flicks A2/ Three-Wave Virtual Heart A3/ Slush Flotsam Bunny A4/ Panharmoni Particle Radio – B1/ Multi-Colored Canopy Dropper B2/ Cut-Free Taste Death B3/ Utterly Free World Without God's Curse - Multi-Sky Wave Joy
Pierre Cécile © Le son du grisli


Dimitri Grechi Espinoza, Tito Mangialajo Rantzer : When We Forgot the Melody (Rudi, 2012)

espinoza rantzer when we forgot the melody

La dédicace à Lee Konitz et Red Mitchell est tout à fait justifiée ici. Et si l’improvisation de Dimitri Grechi Espinoza et Tito Mangialajo Rantzer remplace les standards de leurs deux illustres aînés, la finalité ne change pas : lignes claires et sobres arabesques pour peu d’escarmouches.

Moins volubile que Konitz, Espinoza frôle parfois la microtonalité mais ne s’y implique jamais totalement. De même, la contrebasse de Rantzer ne s’égare jamais des harmonies abordées et ne résiste pas longtemps aux appels répétés de son ami saxophoniste à réintégrer le rang. Restent de soyeux phrasés, en poursuite ici, en contrepoint ailleurs, et l’envie de revenir à une source west-coast amoureusement évoquée ici.

Dimitri Grechi Espinoza, Tito Mangialajo Rantzer : When We Forgot the Melody (Rudi / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2011.
CD : 01/ When We Forgot the Melody 02/ 2nd Time We Forgot the Melody 03/ 3rd Time We Forgot the Melody 04/ 4th Time We Forgot the Melody 05/ 5th Time We Forgot the Melody 06/ 6th Time We Forgot the Melody 07/ 7th Time We Forgot the Melody 08/ 8th Time We Forgot the Melody 09/ 9th Time We Forgot the Melody
Luc Bouquet © Le son du grisli


Josh Berman : There Now (Delmark, 2012)

josh berman there now

Le Gang du cornettiste Josh Berman aime à s’incarner selon son humeur en une fanfare dixie (Liza), en un orchestre swing (I’veFound a New Baby), en un combo bebop (Sugar) ou, encore,en un groupe de blues (Mobile and Blues).  Mais, à chaque fois, sitôt le thème exposé (ou parfois déjà lors du dévoilement de ce thème), les membres du Gang malmènent ce dernier, le dévoient, le corrompent, se jouent de lui. Car, si ses membres maîtrisent l’art d’Armstrong, Ellington, Parker ou Muddy Waters, ils ont aussi assidument fréquenté Eric Dolphy, Rahsaan Roland Kirk et Lester Bowie. Alors, respect et irrévérence, de faire bon ménage ici.

De son amour de la tradition et de son refus de la nostalgie, le cornettiste Josh Berman nous avait déjà entretenus dans le bien nommé Old Idea qui paraissait voici 3 ans sur le label Delmark. Sur ce même label, historique firme chicagoane, Berman en octet propose aujourd’hui There Now. Et nous convainc tout autant : l’esprit frondeur et facétieux, la pertinence des musiciens, complices de longue date de Berman (mention spéciale au contrebassiste Joshua Abrams et au vibraphoniste Jason Adasiewicz) emportent totalement l’adhésion.

One Train May Hide Another, troisième morceau de l’album au titre-programme, pourrait en servir d’exemple. La machine bien huilée roule tranquillement jusqu’à son mitan, pour soudain exploser en route et révéler brisures cuivrées, éclats boisés, métaux épars. La mécanique ainsi démontée finira cependant par se rassembler et repartir tant bien que mal, mais en conservant cette légère claudication symptomatique de ce que le Gang de Berman pourrait désigner comme sa propre conception du swing.

Josh Berman & His Gang : There Now (Delmark)
Edition : 2012.
CD : 01/ Love Is Just Around the Corner 02/ Sugar 03/ One Train May Hide Another 04/ Cloudy 05/ Jada 06/ Liza 07/ I've Found a New Baby 08/ Mobile and Blues.
Pierre Lemarchand © Le son du grisli


Annette Krebs, Anthea Caddy, Magda Mayas : Thread (Another Timbre, 2012) / Magda Mayas, Anthea Cady : Schatten (Dromos, 2011)

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Rôdée, l’association Magda Mayas (piano) / Anthea Caddy (violoncelle) est ici augmentée d’Annette Krebs (guitare préparée, objets…) – rôdée aussi, la paire que celle-ci forme avec Caddy. Sur disque, la rencontre est faite d’acoustique surtout – instruments piqués au vif, rumeurs balançant entre deux notes, bourdons rivalisant avec une voix radiophonique – et d’un peu d’électronique.

L’abstraction, que l’on peut dire constructiviste, gagne au fil des minutes en déséquilibre et ce déséquilibre fait justement son charme : sifflements-trajectoires, chansons captés sur larsen, gimmick de piano accompagnant le renoncement d’un grave de guitare : toutes propositions timides, inquiètes presque de leur avenir, plutôt que de fières expressions amassées. Au nombre des musiques indicibles, le trio Krebs / Caddy / Mayas a ajouté sa pierre de taille à l’édifice, et son copeau de bois et son morceau d’onde.

Annette Krebs, Anthea Caddy, Magda Mayas : Thread (Another Timbre)
Enregistrement : 2008-2009. Edition : 2012.
CD : 01/ Sands 02/ Shore
Guillaume Belhomme © le son du grisli

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L’ombre (Schatten) portée de Magda Mayas et d’Anthea Caddy adopte la forme d’un appareil à sons irrités : ses cordes tremblent sous les frottements, sa caisse de résonance laisse flotter en elle des râles, son bois respire au son de notes fines et allongées. A la fin, les effets de perturbations dansent sur grincements : c’est là qu’arrive Schatten, là que Mayas et Caddy voulaient en venir.

Magda Mayas, Anthea Cady : Schatten (Dromos)
Edition : 2011.
CD-R : 01/ Lucidity 02/ In the Shadows Lay 03/ Shatter
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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