Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le son du grisli

16 avril 2023

Akchoté / Henritzi : Pour et Contre > Keiji Haino

keiji haino le son du grisli

A l’occasion de la parution, début mai, du livre Guitare Conversation de Noël Akchoté et Philippe Robertle son du grisli ressuscite le temps d’une autre conversation : celle à laquelle se sont livrés Michel Henritzi et le même Akchoté, qui compose au fil des impressions une discographie de la guitare jazz faite d’une vingtaine de références. Dix ont été choisies par Henritzi, dix autres par Akchoté, auxquelles réagissent ensuite l’un et l’autre. En introduction de ce long échange – que vous retrouverez compilé à cette adresse au son du grisli –, Noël Akchoté explique... 

Keiji Haino, je l'ai vu à la Rote Fabrik de Zürich assez tôt et un peu par hasard, en 1992 (j'étais venu rejoindre Eugene Chadbourne qui enregistrait en solo pour Intakt, et lui avait prêté une Telecaster). Pour un guitariste de jazz assez classique comme moi ce concert était assez étonnant, surprenant et à la fois je ne voyais pas vraiment de lien, de choses qui puissent faire écho non plus.

Ensuite je l'ai croisé à Londres, lorsque, avec d'autres musiciens japonais, il avait loué le Moat Studio (où Derek Bailey enregistrait tout) un mois entier ; et là (les deux duos avec Derek tout particulièrement), j'avais été un peu choqué, trouvant son jeu assez limite guitaristiquement parlant. Haino c'est quelqu'un, à mes oreilles, qui peut passer assez rapidement du pire au meilleur.

Certains climats, certains matériaux (mélodiques, harmoniques, sonores, ou de mise en scène presque), peuvent êtres très prenants, puis d'autres choses vont sembler beaucoup plus lourdes, un peu douteuses. J'ai vu un duo absolument magique avec Barre Philips, un autre très attendus et poussif avec Han Bennink, et au centre, peut-être la chose la plus différente, le poussant à sortir de certaines positions, le duo avec Pauvros. La balle au centre, c'est donc quelqu'un à continuer de suivre, écouter pour en savoir plus (pour moi en tous cas). Noël Akchoté

1993, Keiji Haino joue aux Etablissements Phonographiques de l'Est, on fait sa première partie avec Dustbreeders et Sister Iodine. Trois parties, trois solos, pour voix seule, percussions et guitare. On est face à ce qui aurait pu être une performance liée au Théâtre de la Cruauté, un basculement dans l'inconnu et un pur moment de rock n'roll, avec ses gimmicks et ses excès. Ce qui frappe c'est le son, la façon dont Haino déplace tous les codes du rock et de l'improvisation (mot qu'il exècre) dans la pure puissance sonore, je n'ai jamais entendu un tel son avant Haino.

Sa musique et ses gouffres intérieurs appellent ce son, cette puissance dionysiaque ; ce n'est pas une pause mais bien un rapport nécessaire à lui, à ce que le son peut, le son doit, pour nous toucher, nous accueillir en lui. Haino nous dit clairement qu'il n'est pas un guitariste mais un électricien, un alchimiste, où peut-être un musicien qui convoque toutes les forces telluriques que permettent aujourd'hui l'électricité et l'amplification.

Si je le préfère seul, voyant dans sa nuit électrique, il y a pourtant des rencontres inouïes, magiques, où à son tour il est entendant, partenaire, ces duos avec Derek Bailey ou Loren Connors, duos de funambules, chacun solitaire mais ensemble. « Black Blues » me semblait intéressant parce que pour chaque morceau, titre, il a enregistré une version électrique et une acoustique. Peut-être que la version acoustique est la plus forte, intense, parce que primitive, et nous montre que son art ne repose pas uniquement sur les décibels mais bien sur le son et que la puissance du son peut être la plus extrême dans le silence. Haino est un grand maître du Ma, tout son art est construit sur les dynamiques, les ruptures, les bruits et les silences. C’est un passeur, un chaman qui nous relie à quelque chose qui nous dépasse, un vertige de l’être. Michel Henritzi

Image of A paraître : Guitare Conversation de Noël Akchoté & Philippe Robert

Newsletter