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Le son du grisli

 
 
20 décembre 2019

Eugene Chadbourne : The Lost Eddie Chatterbox Session / The Guitar Trio in Calgary 1977

eugene chadbourne the guitar trio 1977

La photo de couverture est belle, qui montre Duck Baker (dont Emanem avait mis en lumière voici trois ans au son d’Outside), Randy Hutton et Eugene Chadbourne en action. Sur cette référence Emanem, on entendra les trois guitaristes en 1977 en concert au Parachute Center for Cultural Affairs de Calgary puis en studio – c’est la huitième et dernière piste du CD, qui fut jadis la première du vinyle sorti par... Parachute sous le titre Eugene Chadbourne: Volume Three: Guitar Trios.  

Le concert, lui, est inédit. Mieux, d’un intérêt indéniable. Le son (lointain) de ces trois guitares acoustiques ajoute peut-être aux charmes du document : reste que ces compositions partagées ravissent aujourd’hui, plus de quarante ans après leur enregistrement. KJ is a DS, par exemple, sur lequel les musiciens se repassent un motif de guitare, sinon le mettent à mal en tirant fort sur leurs cordes. So Long, Mom, aussi, dont la marche lente contraste avec le pseudo standard de jazz réduit à sa substantifique moëlle de Two Peafowl… (concert version).

Quelques mois avant l’enregistrement de The Lost Eddie Chatterbox Session, Chadbourne réinvente aussi le blues et le jazz en belle compagnie : ainsi Mary Mahoney voit-il ses interprètes passer d’unissons tordues en fantaisies bon enfant quand Cards et Ornette Mashup célèbrent les influences que sont, pour les trois guitaristes, et Roscoe Mitchell et Ornette Coleman. A chaque fois, quand l’un lit la partition ou récite l’air entendu, l’autre improvise quitte à faire dérailler le premier, quand ce n’est pas agacer le troisième. C’est ici un disque aussi créatif que récréatif : jubilatoire, donc, à double titre.

eugene chadbourne the lost

Ici, un document qui dépasse d’une tête – c’est-à-dire aussi d’une largeur – combien de nouveautés déjà obsolètes. Un disque d’une trentaine de plages enregistrées fin 1977 par Eugene Chadbourne à San Francisco et publiées une première fois sur cassette une dizaine d’années plus tard. Un disque qui, pour résumer, prouve – à qui ne le savait déjà – que Chadbourne n’est pas le fou que l’on croyait.

Non parce qu’il sait « son » jazz – ses thèmes de bop, pour l’essentiel : une douzaine de relectures de Monk et trois de Parker contre une de Coltrane et une autre d’Ornette – que parce qu’il se montre capable d’inventer par-dessus. Le tout enregistré (avec les moyens du bord) en un jour, comme d’autres font des tartes. Ainsi, l’instrument est toujours le même. Oui, mais lequel ? Une guitare à quatre cordes ? Un luth d’extraction récente ? Une vahila de contrefaçon ?... Indécision, puisque la sonorité est (là encore) lointaine au point de rappeler les premières heures du blues.

Nous miserons sur l’instrument guitare – derrière lequel, presque toujours, traîne une voix de batteur. Le jeu est intéressé, qui tient de l’exercice : impliqué donc forcément tendu, tendu donc parfois fauteur de trouble. Or, c’est justement sur le trouble – qu’il a dû ressentir au moment d’interpréter ces standards ou d’oser rendre ses propres chansons sans paroles – que Chadbourne bâtit son œuvre. En improvisateur libertaire, le voici fleurissant de glissandi Scrapple From the Apple, de notes précipitées Brilliant Corners ou approximatives 52nd Street Theme, de sorties sans issue Central Park West, de gestes free l’introduction de Smoke Gets In Your Eyes

Quant aux folies récréatives que signe Eugene Chadbourne, elles sont de taille à prendre place entre deux standards sans qu’on y trouve à redire, soit : ne déparaient pas dans un paysage qu’il faut remonter en trente stations et qui, enfin, vous « scotche » (modernité oblige, chacun sa croix). A l’occasion d’une interview, en 2008, j’avouais au musicien en question que le disque que je passais le plus souvent des siens était Old Time Banjo. Réponse, sarcastique : « Ça doit être parce que je n’y joue pas de guitare. » Depuis The Lost Eddie Chatterbox Session, mon avis a changé. Est-ce pour la guitare ? Pour le luth ? La vahila ?... Ou pour (mieux vaut tard que jamais) lui donner raison.

Eugene Chadbourne, Duck Baker, Randy Hutton : The Guitar Trio In Calgary 1977
Emanem / Orkhêstra International
Edition : 2019.

Eugene Chadbourne : The Lost Eddie Chatterbox Session
Corbett vs Dempsey / Orkhêstra International
Edition : 2017
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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