Tiger Hatchery : Sun Worship (ESP-Disk, 2013)
Un power trio plongé dans la marmite post-free-rock ? Il faudra demander à Mike Forbes (sax), Andrew Scott Young (basse électrique) et Ben Billington (batterie), trois jeunes musiciens de Chicago sur lesquels a misé le label ESP-Disk.
Chieftain &... uppercut direct : nous voilà à l’autre bout de la pièce ! C’est de cette drôle de façon que Tiger Hatchery entame les hostilités, mais son jeu ne sera pas que d’attaques foudroyantes (qui rappellent les belles heures de la Knitting Factory). Non, au free-rock à la Sonny Sharrock (ASY jouant pas mal dans les aigus) succéderont des moments de « calme » pour batterie chercheuse et saxophone à deux notes. C’est donc une claque et son retentissement que Sun Worship contient : et on est loin de les regretter !
Tiger Hatchery : Sun Worship (ESP-Disk / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition. 2013.
CD : 01/ Chieftain 02/ Sonic Bloom 03/ Grand Mal
Pierre Cécile © Le son du grisli
Sylvain Chauveau : Kogetsudai (Brocoli, 2013)
Second volet d’une trilogie démarrée en 2010 avec l’exigeant Singular Forms (Sometimes Repeated), Kogetsudai permet à Sylvain Chauveau (parfois aidé de Stéphane Garin, Steven Hess et Pierre Gerard) de poursuivre un œuvre en solitaire, tranché dans le vif de l’austérité. Exposée en six paysages dénudés et impressionnistes, la vision de l’artiste français contourne les vieilles habitudes radiophoniques pour mieux ouvrir nos oreilles à une nouvelle façon d’inscrire la pop music dans son siècle.
Rejoignant David Sylvian (ah, ce chant…) sur l’autel des armateurs de l’aventure en friche électronique, un monde étrange et poétique s’ouvre à nous. Tel son camarade Stephan Mathieu – avec qui il a commis le fabuleux Palimpsest, un des plus grands disques de 2012 – Chauveau démonte une à une les mauvaises habitudes du show biz, laissant à l’auditeur toute latitude d’imprimer sa propre poésie dans le cadre d’un dépouillement volontaire, où les souvenirs d’un phonographe lointain remontent à la surface d’un avenir entre envie et renoncement.
Sylvain Chauveau
Demeure
Sylvain Chauveau : Kogetsudai (Brocoli)
Edition : 2013.
CD / LP : 01/ Tofukuji 02/ The Most Beautiful Music 03/ Dark Clouds In The Sand 04/ Lenta La Neve 05/ Demeure 06/ Kogetsudai
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Anto Pett, Christoph Baumann : Northwind Boogy (Leo, 2013)
Soit deux pianistes (Anto Pett / Christoph Baumann) aux prises avec quelques illustres spectres : Colin Nancarrow ici (A Night at the Zoo), Cecil Taylor là (Un Poco Demasiado ?), Blind Blake ailleurs (Barbaro – Latino). Et au détour de quelques ascensions périlleuses, pointant ça et là, l’aléatoire de papa Cage (Melancholic Space) et l’étrangeté prégnante de grand-papa Satie (Rubato Boogy) viennent quelque peu adoucir l’ivoire de leurs pianos.
Ne pas croire pour autant que ces quatre mains ne sont que réceptacles des esprits d’antan. Ici, ils sont vifs, généreux, piégeant même les fantômes qu’ils viennent de réveiller. Leurs escapades sont singulières, argumentées d’un esprit de déluge bien réel. Et il ne reste alors plus qu’à ovationner leurs foudres et leurs relâchements avec bienveillance et considération.
Anto Pett, Christoph Baumann : Northwind Boogy (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Barbaro – Latino 02/ Stop an Go and Not Too Far! 03/ Melancholic Space 04/ A Night at the Zoo 05/ Rubato Fugato 06/ Some More Progression 07/ Northwind Boogy 08/ Pecker 09/ A Non Published Scene from William 10/ Un poco demasiado ?
Luc Bouquet © Le son du grisli
Giannis Aggelakas, Nikos Veliotis : Οι ανάσες των λύκων / Πότε θα φτάσουμε εδώ (All Together Now, 2005/2007)
En compagnie de Giannis Aggelakas (Trypes), Nikos Veliotis s’est plusieurs fois essayé à la chanson : ce que prouvent Οι ανάσες των λύκων (2005) et Πότε θα φτάσουμε εδώ (2007).
De cette chanson, on ignorera les paroles, plus précisément le sens, trouvant refuge plutôt dans le noir de boucles longtemps répétées, bercés par un archet lent : le folk dérangé de la première référence joue de répétitions et de dissonances qui profitent à notre apprentissage, en autodidacte, de la grecque antienne. Moins convaincant – les couleurs de la pochette nous avaient-elles prévenu ? –, l'enregistrement le plus récent compose lui aussi avec boucles et dissonances mais sur des thèmes par trop simples, et des arrangements bigarrés, voire pompiers. Le choix, d’autant plus facile à faire : du duo Aggelakas / Veliotis, on préférera l’album noir.
Giannis Aggelakas, Nikos Veliotis : Οι ανάσες των λύκων (All Together Now)
Edition : 2005.
Giannis Aggelakas, Nikos Veliotis : Πότε θα φτάσουμε εδώ (All Together Now)
Edition : 2007.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Nikos Veliotis : Folklor Invalid (Antifrost, 2013) / Mohammad : Som Sakrifis (PAN, 2013)
Enregistré par Coti & Giannis Kotsonis en galerie athénienne le 15 mai dernier, Folklor Invalid donne à entendre Nikos Veliotis assailli par diverses tentations, puis composant avec toutes.
Celle, d’abord, de bourdons et de longs silences se disputant la direction de cette pièce de musique pour violoncelle seul. Après chaque pause, l’archet appuie sur les cordes un peu davantage : quelques accrocs chantent alors sur le balancement d’une note unique, le ressac peaufine dans l’ombre un ronflement que nourrit un ampli, un grésillement trouve un repli sur souffles graves et rumeurs urbaines (public, trafic dans la rue).
La reprise suivante sera terrible : le violoncelle est maintenant de métal et de métal seulement. L’archet peine sur les cordes, trébuche, retourne l’épreuve à force de dérapages. Veliotis progresse en champ drone doom, qu’il augmentera des cris de spectres de son invention tourmentée. De drone en metal et de metal en noise, le violoncellsite est passé avec un aplomb rare : sur quarante minutes de Folklor Invalid terminées par un cri qui – après un silence long de combien ? – devrait revenir à son tour.
Nikos Veliotis
Folklor Invalid (extrait)
Nikos Veliotis : Folklor Invalid (Antifrost / Metamkine)
Enregistrement : 15 mai 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Foklore Invalid
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Un soupçon de metal a toujours infiltré les travaux de Mohammad – soit : Nikos Veliotis (violoncelle), Coti (contrebasse) et ILIOS (électronique). Sur la première de ces deux faces PAN, le trio déroule de longs graves qu’il prend souvent soin d’interrompre, réserve des soubresauts et des chavirements même à une litanie extraite de quelle crypte. En seconde, le piaulement d’un oiseau nocturne donne le pouls au tricotage d’archets en déroute : le Sakrifis promis, intensifié par sa nonchalance.
Mohammad
Lapli Tero
Mohammad : Som Sakrifis (PAN / Metamkine)
Edition : 2013.
LP : A1/ Som Sakrifis – B1/ Lapli Tero B2/ Liberig Min
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
L’autopsie a révélé que la mort était due à l’autopsie : Le souffle de l’avorton (Komma Null / Chienne secrète, 2013)
Voilà un concept-album (s’il en est encore – je veux dire… de vrais) : avec l’aide du mystérieux mage Utu Garu IV, Aka_Bondage, Alan Courtis, Ogrob, Frank de Quengo Tonquedec en ont appelé à l’âme de Jean-Philippe Borbollono, compositeur du XVIIe siècle mort en couche (au singulier).
Si l’on y croyait pas vraiment, on y croirait presque ! C’est qu’el Borbolon (telle qu'a été baptisée l’âme en question) inspire drôlement L’autopsie a révélé que la mort était due à l’autopsie. Pré-natal autant que pré-bruitiste, pré-sériel, etc., Borbollono fait du groupe des marionnettes, le plonge dans l’ectoplasme et le dirige encore dégoulinant avec une maestria digne d’un Daniel Barnumboim : interludes, flutisme de feu, sonatine, requiem en Fa magique, études pour contrebasse ou ornithorynque... Nul doute, l’avorton vous soufflera !!!
L’autopsie a révélé que la mort était due à l’autopsie : Le souffle de l’avorton (KommaNull / Chienne secrète)
Edition : 2013.
LP : A1/ Interlude pour piano et interférences extoplasmiques A2/ Partita inadmissible pour piano, cordes et trombone A3/ Sonatine pour piano à sept mains, percussion occidentale et accidentale A4/ Flutisme de feu – B1/ Etude pour contrebasse, percussion et ornithorynque B2/ Suite romantique B3/ Requiem en Fa magique
Pierre Cécile © Le son du grisli
Sur une k7, KommaNull a organisé la rencontre d’Alan Courtis et d’Häk. En face A, le deuxième développe à la batterie synthétique un rythme mollasse mais néanmoins aguichant avant de s’essayer à une musique électronique sans grand (ni petit) enjeu. Sur l’autre face, Courtis colle des field recordings (courses de voiture ? couteau tranchant ? respirations coupées ?...), froisse des choses froissables, inverse des voix, pour un résultat autrement plus détonnant.
Häk / Anla Courtis : Split (KommaNull)
Edition : 2013.
K7 : A/ Häk : Musik für Molekularsynthesizer – B/ Alan Courtis : Untitled
Pierre Cécile © Le son du grisli
ALP : Les passagers du delta (DLM, 2013) / Barre Phillips : Traces (Kadima Collective, 2012)
Aurait-on oublié leur passé de jazzmen que ce double CD-book nous le rappellerait. Sans fioritures mais allant droit à l’essentiel, Denis Levaillant, Barre Phillips et Barry Altschul réussirent pendant six années à faire parler le sensible. C’était en 1986 et les passerelles n’étaient pas encore pilonnées. Le pianiste pouvait adoucir ou défier les tempos, le batteur pouvait varier le mouvement, le contrebassiste pouvait évoquer son passé de sideman chez Attila Zoller, Lee Konitz ou Slide Hampton : personne pour venir contester la douceur et la souplesse de leur musique.
Aujourd’hui, on peut réécouter cette musique (Passages, le CD studio était depuis longtemps épuisé) et se dire que l’on n’avait pas rêvé. Les ritournelles, les symétries et asymétries rythmiques, la vivacité, le nerf, le fiel, les ballades, l’archet baroque et les toms enchanteurs ont gardé toute leur félicité. Et, cerise sur le gâteau, un CD inédit enregistré en public vient confirmer toute la splendeur de cette attachante musique. Et s'ils remettaient le couvert ?
Trio ALP : Les passagers du delta (DLM Editions)
Enregistrement : 1987 & 1989. Edition : 2013.
2CD : CD1 : 01/ Free Mandela 02/ Drive In 03/ Rythmie Training 04/ Piano Station 05/ Time Colours 06/ Dance from Nowhere 07/ Drum Role 08/ Be Out’s Cool 09/ Mellow Moment 10/ Paris-New York Railway 11/ Around the Blues – CD2 : 01/ Drive In 02/ Be Easy Stage One 03/ Paris-New York Railway 04/ Open Runs 05/ Around the Blues 06/ Rythmie Training 07/ Dance from Nowhere 08/ Time Colours 09/ Piano Station 10/ By Easy Stage Two 11/ New-York Paris Railway 12/ Drum Role 13/ Be Out’s Cool 14/ Pressing On 15/ Mellow Moment 16/ Just Arrived
Luc Bouquet © Le son du grisli
S’il ignore (pour avoir été édité en 2012) Les passagers du delta, Traces, livre de cent-cinquante pages renfermant un CD (réédition de Journal Violone, 1968) et un DVD (Temporaneous), fait état par l’image de cinquante années d’activité : pochettes de disques attestant une imposante et éclectique discographie (d’un partenaire de Dolphy, Shepp, Brown…, associé de Kowald, Guy, Demierre et Leimgruber…, ou contrebassiste solitaire), affiches et photos tirées de ses archives personnelles, se succèdent dans un ordre chronologique qu’adoptera aussi la discographie de dix-sept pages qui termine cette indispensable monographie de… Barre Phillips.
Barre Phillips : Traces. Fifty Years of Measured Memories (Kadima Collective)
Edition : 2012.
Livre : Traces. Fifty Years of Measured Memories.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Antoine Chessex : Errances (Under Platform, 2013)
Les (trop brèves) Errances d’Antoine Chessex suivent le tracé flou de strates de notes de saxophones et de souffles joints. Pareillement considérés, les unes et les autres n’agissent, ne se développent, évidemment pas sur le même plan. De leur naissance à leur extinction, parfois par leur endurance ou leur retour contraint, ils révèlent, superposés, des souterrains habituellement enfouis sous paysages.
Underground Saxophone Quartet ou Urban Solo Sax : voilà les projets que Chessex emmène ici, et surtout forme seul. La multiplication des pistes – est-ce plutôt l’écho des notes qu’il engendre prudemment au centre du tableau, qui lui reviennent après avoir buté sur le cadre ? – accentuant l’intensité de ses sons continus et soignant le dessin de ses lignes fragiles, le saxophoniste signe-là deux plages où infuse un minimalisme de tonie lâche. Ses effets sur l’environnement proche sont marquants.
Antoine Chessex
Errances
Antoine Chessex : Errances (Under Platform)
Enregistrement : 2011. Edition : 2013.
CD : 01-02/ Errances
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Miguel A. García, Tomas Gris, Lee Noyes : Asto Ilunno (IdealState)
Je me souviens, en ce jour un peu spécial, des premiers disques de musique sans direction que j’ai entendus dans ma vie. Non-directionnel, John Cage ? Non-directionnels, Derek Bailey et Cyro Baptista ? Non-directionnel, le SME ? Des années plus tard, des jours et sûrement des mois de musique non-directionnelle plus tard, j’en écoute encore, et lorsqu’elle est récente, j’y distingue de plus en plus de flèches.
Des flèches ici dans le piano de Lee Noyes, des flèches dans l’électronique de Miguel A. García, des flèches dans les objets de Tomas Gris… Des flèches partout et encore, qui indiquent des influences, des personnages, des paysages que j’ai moi aussi un jour traversé en flânant ou en courant mais en imagination, pour ne pas dire par l’oreille. Les flèches d’Asto Ilunno ont d’ailleurs un drôle d’effet sur moi puisque je leur obéis : je fais quelques pas vers ce vieux disque d’AMM que je n’ai plus écouté depuis des lustres, époussette ensuite la pochette d’un CD de Klaus Filip. Reviendrai-je un jour (un de ces jours un peu spéciaux) à Asto Ilunno parce qu'il m'aura été indiqué par la carte improvisée de je ne sais quel disque futur ?
Miguel A. García, Tomas Gris, Lee Noyes
Asto Ilunno (extrait)
Miguel A. García, Tomas Gris, Lee Noyes : Asto Ilunno (IdealState)
Edition : 2013.
CD : 01/ Asto Ilunno
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Catherine Jauniaux, eRikm : Mal des Ardents / Pantonéon (Mikroton, 2013)
Il y aurait une conteuse (Catherine Jauniaux), un de ses astres sensibles qui prendrait à bras le corps les mots d’Ovide, de Kandinsky, de Rilke, de Duras, de Gainsbourg. Et puis les siens de mots. Et puis ses babillages, ses habillages de sons, ses chuchotements, ses suppliques, ses plaintes, sa manière de découper la fiction en frasques différées.
Et il y aurait un monstre sonique (eRikm) aux vinyles toujours rayés. Un bibliothécaire du sensible, un érudit du sens. Un de ces êtres connaissant le latin du free jazz et le grec du contemporain. Un de ceux qui font du crépitement une nature première, une nature vivante.
Ces deux-là existent et s’enchantent ensemble depuis une quinzaine d’années. Et ce double CD nous dit quelques petites choses de leurs élans. Un premier CD enregistré entre Besançon et Montpellier il y a deux et trois années. Et un second enregistrement capté onze ans plus tôt à Bâle (Taktlos Festival). Et dans les deux cas de figure tout craquelle et crépite, tout s’engage en fines et perçante gorgées. L’un désire un drone instrumental et le trouve. L’autre rêve du Japon et la voici au pied du Mont Fuji. L’un fait s’évanouir une contrebasse solitaire et l’autre y dépose un chant profond, aveuglant. Et leurs chants de se fondre, de fusionner et de donner raison à ceux – dont je fais partie – qui avaient perçu depuis longtemps leur étonnante singularité.
Catherine Jauniaux, eRikm : Mal des Ardents / Pantonéon (Mikroton Recordings)
Enregistrement : 2000, 2010-2011. Edition : 2013.
2 CD : CD1 : 01/ Son pas 02/ Tchip 03/ Métamorphose 04/ Il lui touche le bras paf ! 05/ Ne pas 06/ Le rêve est un arbre 07/ La mer 08/ Mal des ardents 09/ Souvenir de son ventre dans la terre mouillée – CD2 : 01/ Pervadere 02/ I’m Not Far 03/ Sous-jacente 04/ Régal de Tamanoir 05/ Une chanson vraiment triste 06/ Ballade 07/ La lenteur fait crier les amants 08/ Le canari 09/ Alaska Bar’s Dance 10/ L’échafaudage échoue I 11/ L’échafaudage échoue II 12/ A Dream 13/ Pantonéon 14/ Quand l’arbre a perdu son ombre 15/ Quand l’arbre a perdu son ombre (suite) 16/ Sad Raga 17/ Yiddish Song
Luc Bouquet © Le son du grisli