Nicolas Wiese : Living Theory Without Anecdotes (Corvo, 2013)
A l'index, il faudra ajouter une entrée sous le patronyme de Wiese : prénom, Nicolas. Toutefois pas dans le même tiroir que le bruyant John, parce qu'à l'efficiente perte d'audition Nicolas Wiese préfère l'ambient... “bizarre”.
La première face de ce vinyl jette toutes les cartes (et d'ailleurs : les meilleures) : de quoi joue N. Wiese ? Peu importe, car avec l'Ensemble Adapter ou Thorsten Soltau, il signe des morceaux d'une ambient... “bizarre” (donc) au noise confiné, aux instruments irrepérables (on y reconnaît bien des à cordes mais ils font l'effet de guitare jouet sur une molle électronique), aux voix d'outre-bombe discrètes mais envahissantes, mais néanmoins au balancement estival.
Avec Tom Rojo Poller, suit une collaboration audiovisuelle sans véritable intérêt, encore ambient, avec quelques effets parasites qui interviennent mais trop tard, avec une transparence qui ne doit surtout pas nous fair oublier que, seul ou presque, Nicolas Wiese a prouvé qu'il était l'homme d'une face et d'une seule, la première, la stupéfiante.
Nicolas Wiese : Living Theory Without Anecdotes (Corvo Records)
Enregistrement : 2009-2011. Edition : 2013.
2 LP : LP1 : A1/ Due to Idle A2/ Subterfile A3/ Der Elefant Im Porzellankäfig – LP2 : B1/ El jardin revisitado
Pierre Cécile © Le son du grisli
Alvin Curran : Shofar Rags (Tzadik, 2013)
Le livret de cette nouvelle référence de la série Radical Jewish Culture du label Tzadik le rappelle : « depuis 1965, Alvin Curran fait de la musique avec toutes sortes de sons, d’instruments, avec tout le monde, en tous endroits, tout le temps. » Il semblerait que le compositeur se penche depuis la fin des années 1980 sur le chophar, cet instrument des temps anciens. Or, son Shofar Rags me l'assure : il en joue depuis la nuit des temps.
Ce qui ne l'empêche pas de composer en homme nouveau, puisant dans ses archives sans fond quand il ne se satisfait pas d’être bien entouré par Arnold Dreyblatt à l’accordéon, William Winant au « large tam tam » et Michael Riessler à la clarinette soprano. L’idée étant de faire naître d’un instrument biblique une mélopée moderne, de déblayer un folklore antique qui en revient aux prières les plus mystérieuses et à la prosopopée. Mettre au jour grâce à un instrument des sables une musique électroacoustique des plus alertes. Deux, trois, quatre notes suffisent au chophar pour envoûter une assistance qui prendra la fuite quand chargera un troupeau d’éléphant et une ribambelle d’oiseaux.
Loin, très loin, des joliesses ECM, Curran aborde le champ folk atmosphérique à la barre d’un paquebot-arche brinqueballé par l'instabilité de son imagination. D’étranges voix de moines regrettent peut-être que le recueillement ne soit pas plus sérieux, mais mille collages ont pris le dessus, la procession musicale est profonde et/ou merveilleusement loufoque. A l’image peut-être du monde dont Curran dit qu’il est sa langue maternelle, un monde qu’il ne cesse d’accorder à sa propre fantaisie.
EN ECOUTE >>> Alef Bet Gimmel Shofar
Alvin Curran : Shofar Rags (Tzadik / Orkhêstra International)
Edition : 2013
CD : Shofar Rags
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Cotinaud, Phillips, Roger, Sommer : No Meat Inside / The Sérieuse Improvised Cartoon... : When Bip Bip Sleeps (Facing You, 2013)
Pris sur le vif (La Gaude, 12 novembre 2012) et jouant sur le vif, François Cotinaud, Barre Phillips, Henri Roger et Emmanuelle Somer ravivent quelques habitudes et s’appliquent à en défaire quelques autres.
Entre eux, quelque chose passe puis se rature. Entre eux, il y a gifle ou caresse. Il y a donc les habitudes et les turpitudes. Il y a les évidences souvent à la charge des duos (piano-contrebasse, saxophone-piano). Et ce sont là, excès de fièvres et emballements sinueux de toute beauté. Et puis, il y a ce qui se cherche, ce qui résiste, ce qui ne se trouve pas. Ce pour quoi l’improvisation existe. Maintenant s’élèvent caquètements, irruptions, unissons détrempés, discrétions et prise de becs. Le hautbois tresse quelques fines nattes de sons, une note de contrebasse ouvre le chapitre, un souffle berbère surgit, des appeaux-embouchures fredonnent l’inutile… L’improvisation tout simplement.
François Cotinaud, Barre Phillips, Henri Roger, Emmanuelle Somer : No Meat Inside (Facing You / IMR / Souffle Continu)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Epars 02/ Friche 03/ Space Inside 04/ Ocres 05/ Tribulations mandibulaires 06/ Drunk Track 07/ Ressort
Luc Bouquet © Le son du grisli
Influencés par les musiques de Scott Bradley, un géocoucou astucieux et un coyote rapide mais pas bien malin, Henri Roger, Eric-Maria Couturier, Emilie Lesbros et Bruno Tocanne s’en donnent à cœur joie dans la démesure. Le pianiste harmonise la course, le violoncelliste lapide ses cordes, la chanteuse dérape à plaisir, le batteur tente de réguler le parcours. Et nos quatre amis d’habiter un monde grouillant de passions, de rires et d’éclats sans frontières.
The Sérieuse Improvised Cartoon Music Quartet : When Bip Bip Sleeps (Facing You / IMR / Souffle Continu)
Edition : 2013.
2LP + CD : 01/ Cats and Dogs 02/ Follow That Horse 03/ When Bip Bip Sleeps 04/ Are You Happy? 05/ At the Circus 06/ Running in the Jungle
Luc Bouquet © Le son du grisli
Sudo Quartet : Live at Banlieue Bleue (NoBusiness, 2012)
S’il démontre que le festival Banlieues Bleues peut encore être pourvoyeur d’instants d’intérêt, ce Live célèbre encore davantage la complicité intacte du duo de cordes Léandre / Zingaro, sublimée par les présences de Sebi Tramontana (troisième larron d’un Chicken Check In Complex jadis enregistré aux Instants Chavirés) et Paul Lovens.
Volatil, le violoniste appelle à lui tous les graves de la contrebasse, les endort sur phrase défaite – la voix de Léandre prend alors le relai – ou entame avec eux un jeu de rapprochement et d’éloignement dont les mouvements profitent de la cohérence du quartette. C’est qu’en arrière-fond, trombone et batterie œuvrent aussi à la prestation haute : litanie improvisée délicate et puissante, voilà pour le souvenir.
EN ECOUTE >>> Sudo 1 >>> Sudo 4
Sudo Quartet : Live at Banlieue Bleue (NoBusiness)
Enregistrement : 25 mars 2011. Edition : 2013.
CD : 01-05/ Sudo 1 – Sudo 5
Guillaume Belhomme © le son du grisli
Katsura Mouri, Tim Olive : Various Histories (845 Audio, 2013)
Aux platines, edits & mix, Katsura Mouri. Aux pickups et metals, Tim Olive. Et avec tous ces branchements, le duo ne craint par le grand saut… à l’eau. Malgré nos craintes, nous plongeons avec eux.
Au fond, c’est comme un moteur qui tourne et nous attire. L’oreille perçoit ce quelle peut (cliquetis, frottements, frisements) jusqu’à ce qu’apparaissent (même bien cachées) une, deux puis trois mélodies. Sous l’effet des bruits de Mouri et Olive ou celui de la pression, notre cerveau nous jouerait-il des tours ? Impossible de répondre, je me souviens seulement de l’expérience, et surtout de la cinquième plage : comme engourdi, des basses me pénètrent, et une force plus grande que moi me transporte. Je crois ne plus entendre qu’un drone et des coups donnés sur une corde. J’en ressors sonné, béatement conquis de ces contes à ouïr debout.
Katsura Mouri, Tim Olive : Various Histories (845 Audio)
Enregistrement : 2010. Edition : 2013.
CD : 01-05/ Various Histories
Pierre Cécile © Le son du grisli
Evan Parker, Matthew Shipp : Rex, Wrecks & XXX (Rogue Art, 2013)
Si les duos d'Evan Parker – ici au seul ténor – en compagnie de pianistes (Mengelberg, Graewe, Farrell, Oberg, Fernández, Tracey, Tilbury) semblent désormais proliférer, ceux de Matthew Shipp avec des saxophonistes sont plus rares (on se souvient de Rob Brown ou de Sabir Mateen) et méritent une attention particulière, d'autant plus lorsque ces collaborations le mènent hors de son cercle américain, comme dernièrement avec John Butcher, At Oto.
La rencontre avec Parker, il y a une douzaine d'années, dans le cadre des projets de Spring Heel Jack, avait débouché, en 2006, sur les Abbey Road Duos publiés par Treader : les pistes ouvertes par ce disque se voient aujourd'hui superbement prolongées et approfondies dans le double volume qu'édite le label RogueArt. Le premier volet, en pièces brèves (dont deux solos), a été enregistré au Vortex londonien, dans les conditions du studio, début septembre 2011 ; le second a été capté en concert au même endroit, le lendemain.
Les éclats rauques que les cristalliers tirent du front de taille, au-delà des clusters à facettes, des belles chutes de séracs et du jeu « cassé » sismographique, finissent par dégager des bribes de chants, vite retournées et refourbies. Mieux qu'une stricte réitération, ce rude pétrissage, cette lente extraction, amène au jour des esquisses qui bientôt sombrent, saisies un instant à peine ou suggérées par le travail même (d'exsudation, de percolation). Ces conjonctions successives, complexes, loin de l'équilibre, partagent-elles quelque cousinage avec les « phénomènes à structures dissipatives » du physicien Prigogine ?
Evan Parker, Matthew Shipp : Rex, Wrecks & XXX (Rogue Art / Souffle Continu)
Enregistrement : 2011. Edition : 2013.
CD1 (studio) : 01/ Rex 1 02/ Rex 2 03/ Wrecks 1 04/ Rex 3 05/ Wrecks 2 06/ Rex 4 07/ Rex 5 08/ Rex 6 – CD2 (live) : 01/ XXX
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Ches Smith, These Arches : Hammered (Clean Feed, 2013)
Les questionnements du disque précédent ne sont plus. L’heure est au désordre. Ches Smith est ici le patron d’une entreprise de pillage et de non-sens (presque) absolu. Comme ici, tout va à Zoot Allures, Tony Malaby et Tim Berne, pourtant habitués à vagabonder avant fracas, se retrouvent immédiatement dans la fournaise. Sans préavis et sans chemin tout tracé. Mary Halvorson et Andrea Parkins ne sont pas plus sages, qui prennent part avec gourmandise à ce sabotage volontaire.
Esprits forts et jamais fuyants, cris sans chuchotements, gesticulations et riffs détraqués, les collisions ne peuvent que s’enchaîner. Ici, c’est le clou rouillé dans le talon, le scrupule dans la chaussure, les duels de saxophones mal dosés, les unissons embrouillés. C’est une maîtrise – puisqu’il faut aussi en passer par là – qui ne se prend pas au sérieux. Ici, le sonique ricane de ses habitudes. Ici, les cinq de These Arches ont le bon goût de saboter le bon goût.
EN ECOUTE >>> Hammered
Ches Smith, These Arches : Hammered (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ Frisner 02/ Wilson Phillip 03/ Dead Battery 04/ Hammered 05/ Limitations 06/ Learned from Jamie Stewart 07/ Animal Collection 08/ This Might Be a Fade Out
Luc Bouquet © Le son du grisli
Jakob Ullmann : Fremde Zeiten Addendum 4 (Edition RZ, 2013)
Sur quel point de cette carte sonore énigmatique (cette carte que j’entends à chaque fois que je la regarde) faut-il placer Jakob Ullmann ? Que sont devenues ses études de musique sacrée ? Et son expérience avec Friedrich Goldmann ? J’ai écouté le plus attentivement du monde Fremde Zeiten Addendum 4 et je n’ai obtenu aucune réponse. Le code de sa couverture m’avait prévenu, le disque alimenterait encore l'énigme Ullmann.
Voilà de quoi elle retourne. Pendant une heure et six minutes, un orgue démontre une sensibilité qu’on ne lui aurait peut-être pas soupçonnée, jamais, si Ullmann ne s’était chargé de lui. Si l’Allemand n’avait eu envie de l’assigner au bourdon avant de lui faire prendre plusieurs chemins, celui des combinaisons minimalistes (bien sûr, l’instrument le rapproche de Terry Riley, de Moondog…), d’arpèges volatiles, de dissonances… Souvent on entend passer le souffle dans la tuyauterie et le souffle est une menace constante. Il aspire les notes les unes après les autres. Jusqu’à la dernière. Jusqu’à l’extinction de ce merveilleux solo et de l’alimentation du mystère.
Jakob Ullmann : Fremde Zeiten Addendum 4 (Edition RZ)
Edition : 2013.
CD : 01/ Fremde Zeiten Addendum 4
Héctor Cabrero © Le son du grisli
DEER : One (Deszpot, 2013)
Christian Müller, Hans Koch et Silber Ingols – Biennois aux clarinettes basses augmentées par l’usage de machines – prennent, pour leur première collaboration sous le nom de DEER, le prétexte d’une note unique, que l’on dira de concordance et soupçonnera hommage au brame.
Non pas de synthèse même si ondulante, non pas de didgeridoo même si endurante : la note tremble et dessine des vagues que le ressac nourrira d’éclats ornementaux et vivifiants, le drone et son lent retournement provoquant une série de glissements et de roulements qui se jouent autant des surfaces que d’un espace qu’ils renversent dans son entier. Nombreuses et pas toutes perceptibles, les couches qui composent One en font un ouvrage fascinant, accaparant même.
DEER : One (Deszpot)
Edition : 2013.
CD : 01/ One
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Gregory Büttner : Scherenschnitt / Olaf Hochherz : Rooms to Carry Books Through / Adam Asnan : FBFC (1000füssler, 2013)
Des trois références qui viennent grossir la discographie du label au mille-pattes de Gregory Büttner, Scherenschnitt est celle qui augmente aussi l’œuvre enregistré du patron. Née d’une installation du même nom (dont la couverture du petit disque montre un détail), Scherenschmitt est une histoire de découpage (de papier et de carton) enregistré et du collage de ces enregistrements. Sur onze minutes, l’expérience de close miking, récepteur à mi chemin du matériau et du geste, découpe moins une « silhouette acoustique » qu’elle ne révèle les trajectoires de mouvements « in process » inquiets d’artisanat autant que d’artefact.
Gregory Büttner : Scherenschnitt (1000füssler)
Edition : 2013.
CD : 01/ Scherenschnitt
Muni de micros piezo, baffles, mixer…, Olaf Hochherz s’attelait en 2012 à Berlin à l’électroencéphalogramme d’un livre. Les résultats de l’expérience sont à entendre sur Rooms to Carry Books Through – qui évoquent à leur façon le Voyage autour de ma chambre de Maistre : soufflements, silences, respirations infimes et réactions minuscules d’un livre qu’Hochherz peut aussi provoquer du doigt. Bientôt, c’est un prélude qui convainc l’amateur de papier qu’une faune jusqu’alors inconnue s’affaire entre ses pages.
EN ECOUTE >>> Rooms to Carry Books Through (extrait)
Olaf Hochherz : Rooms to Carry Books Through (1000füssler)
Edition : 2013.
CD : 01/ Rooms to Carry Books Through
Un bruit de tonnerre et les tremblements qu’il provoque ouvrent FBFC, travail d’amplification d’un couvercle de métal auquel s’est appliqué Adam Asnan. S’il porte des coups à l’objet, le musicien choisit de se laisser déborder par les échos qu’il commande à l’électronique. Ainsi, alternant rythmes réguliers et attaques défaites, Asnan modèle au son de feedbacks et de rumeurs les reliefs concrets d’épatantes ecchymoses, voire d’ultramodernes commotions.
EN ECOUTE >>> FBFC 2
Adam Asnan : FBFC (1000füssler)
Edition : 2013.
CD : 01/ FBFC 1 02/ FBFC 2 03/ FBFC 3 04/ FBFC 4
Guillaume Belhomme © Le son du grisli