Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Fred Anderson: Timeless (Delmark - 2006)

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Membre encore actif de l’A.A.C.M., le saxophoniste Fred Anderson démontre à domicile – en son Velvet Lounge de Chicago – l’impeccable longévité d’un free jazz que d’autres ont depuis longtemps échangé contre un bâillon de velours.

Aux côtés de sidemen aussi irréprochables qu’Harrison Bankhead (contrebasse) et Hamid Drake (batterie), le ténor déverse ses propositions mélodiques au gré d’un souffle hors d’atteinte, tenté d’abord par la déconstruction innocente (Flashback). Sur un gimmick lancé par Bankhead, il sert ensuite un Ode to Tip renouant avec une structure établie, bousculée néanmoins par les digressions fastes de la section rythmique.

Délaissant sa batterie pour un simple tambour de rythme, Drake mène ensuite By Many Names, pause rafraîchissante dans laquelle s’insinue discrètement un free minimaliste rendu par les graves du ténor et quelques schémas répétés par la contrebasse. Le batteur y dépose aussi sa voix, raisonne les intentions sourdes, avant d’engager enfin à la reprise des hostilités.

Au son d’une soul fiévreuse, d’abord, qui introduit Timeless, morceau aux couleurs changeantes parmi lesquelles se glissent quelques références funk ou rythm’n’blues, avant que le trio n’opte pour la césure faite de pizzicatos légers, d’interventions de percussions minuscules et de souffles retenus. La conclusion peut alors en revenir à ce genre d'essentiel qui plaide en faveur d’un free pugnace mais réfléchi, d’un jazz évoluant haut et d’instinct*.

[*Musique que Fred Anderson affirme vouloir prodiguer jusqu’à son dernier souffle, dans l’interview que renferme l’édition DVD de Timeless.]

CD: 01/ Flashback 02/ Ode to Tip 03/ By Many Names 04/ Timeless

Fred Anderson - Timeless - 2006 - Delmark. Distribution Socadisc.



Warren Burt: The Animation of Lists And the Archytan Transpositions (XI Records - 2006)

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Sous l'oeil engageant du producteur Al Margolis, Catherine Schieve et Warren Burt dressent en deux temps une oeuvre mystérieuse, manifeste érudit tout autant qu'exposé de relaxation sur le qui-vive.

Passé derrière un lamellophone dernier cri, le duo fait d'une lecture neuve de traités et de modes le prétexte à l'élaboration d'une musique abstraite, qui doit beaucoup à la préparation des instruments et compte, pour ce qui est de son exécution, pas mal sur le hasard. Toujours délicats, les coups portés sur lamelles décident d'oscillations incertaines, de réverbérations aptes à accueillir les courses d'harmoniques, et mettent en avant quelques tonalités rassurantes.

Formellement assez proches du For Bunita Marcus de Morton Feldman, les deux parties dévoilées ici refusent comme elle la progression évidente, déclinant la moindre annonce de crescendo, pour multiplier, malignes, les amorces de perturbations avec lesquelles l'exécution devra faire ici ou là. La mesure, partout, et la décision juste.

Oeuvrant à la découverte de tonalités alternatives, les deux compositions de Burt prouvent qu'il est possible de concilier la recherche du compositeur versé dans la théorie et l'écoute contemplative de l'auditeur détaché de tout désir de complexité. Qui se rencontrent ici dans un champ apaisant d'attentions métalliques déposées.

CD1: The Animation of Lists: 01/01 02/02 03/03 04/04 - CD2: And the Archytan transpositions: 01/ 01 02/ 02 03/ 03 04/ 04

Warren Burt - The Animation of Lists And the Archytan Transpositions - 2006 - XI Records.


Pan American : For Waiting, For Chasing (Mosz, 2006)

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For Wainting, For Chasing est le cinquième album de Mark Nelson (Labradford) publié sous le nom de Pan American. En compagnie de Steven Hess (percussions) et David Max Crawford (bugle), il échafaude ici une ambient des derniers jours, bruitiste et enveloppante, qu’il décide d’effriter peu à peu.

Partout, le même canevas de départ : une progression indescriptible de nappes sonores, sur lesquelles viendront se greffer field recordings, constructions d’électronique minimaliste, interventions au bassStation, craquements et aigus divers. D’un morceau à l’autre, les variations sont rares, tenant ici de l’usage de la réverbération (Dr. Christian), là de la redite d’un mini gimmick fait unique option d’évolution (Are You Ready ?).

Au gré de crescendos et de leurs contraires, Nelson donne avec mesure dans une musique atmosphérique loin d’être limpide, assez proche de celle que fabrique Rafael Toral. Pièces climatiques peintes au lavis, toutes sauf Ammuls refusent le recours à une mélodie assumée. Ammuls, où en guise de conclusion Nelson autorise une combinaison discrète de notes reconnaissables à filtrer enfin.

Menée jusqu’à son terme, l’évidence révèle la traversée de zones de perturbations voilées. Expérience insoupçonnable qui rassure autrement qu’en prévenant des risques.

Pan American : For Waiting, For Chasing (Mosz / La baleine)
Edition : 2006.
CD : 01/ Love Song 02/ Are You Ready? 03/ Dr. Christian 04/ Still Swimming 05/ From Here 06/ The Penguin Speaks 07/ Amulls
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
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Bass Tone Trap: Trapping (Music à la coque - 2006)

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Formé en 1981 par Martin Archer (saxophones, violon, claviers) et Paul Shaft (contrebasse, voix), le groupe Bass Tone Trap change d’allure à l’arrivée du saxophoniste Derek Saw. Venu du jazz, celui-ci met ses influences au service d’un groupe faisant déjà avec les siennes propres, nombreuses et éclatées. Le résultat : la musique d’une fanfare punk, allant voir, sans se poser de questions, du côté du Krautrock, de la No Wave et du Free Jazz.

Sorti en 1983, Trapping donne à entendre un tel mélange, déjanté et plaidant le long de 13 morceaux en faveur de son émancipation immédiate. Peu importe qu’il s’agisse de le faire au son de progressions expérimentales atmosphériques (Magnetic North) ou bruitistes (Magnetic South), de pop funk délurée (Sanctified), ou de free changeant – virant au swing sur le motif répété des guitares de Safe in The Inner Core, ou plus radical sur Rare & Racy et Afraid of Paper.

Selon l’humeur, les 6 musiciens fantasment les rencontres : celle de Soft Machine et du World Saxophone Quartet (pour l’unisson des instruments à vent auquel il a souvent recours), ou celle de Can et d’Alterations. Le plus souvent convaincantes, ces collisions ne laissent rien en place longtemps et font un puzzle cataclysmique de quelques influences ramassées.

La musique en réaction, confiant à qui veut l’entendre que le domaine n’a rien à faire des leçons. Qui évolua avec Bass Tone Trap 4 années durant au gré d’une énergie impertinente, pour viser aujourd’hui le statut de document démesuré, attestant de l’existence d’un Lower East Side transposé jadis en Angleterre. Forcément moins sourcilleux.

CD: 01/ Sanctified 02/ Safe in The Inner Core 03/ Stay There 04/ Afraid of Paper 05/ Magnetic North06/ Intruder in the Dust 07/ AAK 08/ The Complex Aesthetic of John Jasnoch 09/ Sleep Lights 10/ Magnetic South 11/ Rare & Racy 12/ Africa Calling 13/ Radio Slot

Bass Tone Trap - Trapping - 2006 (réédition) - Music à la coque.


Joëlle Léandre: At The Le Mans Jazz Festival (Leo - 2006)

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Retour, le temps de deux disques, sur la carte blanche offerte à Joëlle Léandre par l’Europa Jazz Festival du Mans édition 2005. Occasion pour laquelle la contrebassiste conviait aux dialogues quelques uns des plus brillants représentants du jazz et de l’improvisation d’aujourd’hui.

Après s’être entendu à merveille avec la chanteuse Lauren Newton (Face It!), Léandre composait en compagnie d’Irène Schweizer avec la voix de Maggie Nicols. Ensemble, à nouveau, Les Diaboliques s’accordent sur les schémas répétitifs du piano (Meeting One), mariant les constructions abruptes de Léandre aux éclairs facétieux ou plus incantatoires de Nicols (Meeting Two).

Après le trio insatiable, le florilège fait honneur à un duo de contrebasses hors normes. Là, Léandre et William Parker se mesurent à coups d’archets grinçants, gagnant sans cesse en vitesse comme en densité (Meeting Three). Sur Meeting Five, Parker passe de la flûte à la contrebasse, optant pour l’usage de la paraphrase autarcique en réponse à l’improvisation sensible de sa partenaire.

Après avoir mené leur Firedance, Léandre et la violoniste India Cooke réinventent leur entente, nouée par de précieux réseaux de cordes, qui combinent expérimentations tourmentées (Just Now Two) et propositions mélodiques (Just Now One). Cooke jouant ici le rôle qu’investira ensuite le trompettiste Markus Stockhausen, déposant ses phrases claires sur la progression raffinée qu’installent contrebasse et percussions – celles, en l’occurrence, d’un Mark Nauseef rappelant à l’occasion Andrea Centazzo – sur Just Now Four.

Pour terminer, la sélection extrait quatre morceaux du concert donné par la contrebassiste en compagnie de Paul Lovens (batterie), Sebi Tramontana (trombone) et Carlos Zingaro (violon). Plus déconstruit encore, l’ensemble avance en terres dissonantes et répétitives (Just Now Six), indéchiffrables. Histoire de conclure dans les brumes une sélection infaillible, plaidant pour la qualité évidente d’un Europa Jazz 2005 qu’on aura bien fait de confier à Joëlle Léandre.

CD1: Joëlle Léandre, Maggie Nicols, Irène Schweizer: 01/ Meeting One 02/ Meeting Two - Joëlle Léandre, William Parker: 03/ Meeting Three 04/ Meeting Four 05/ Meeting Five - CD2: Joëlle Léandre, Indian Cooke: 01/ Just Now One 02/ Just Now Two 03/ Just Now Three - Joëlle Léandre, Mark Nauseef, Markus Stockausen: 04/ Just Now Four 05/ Just Now Five - Joëlle Léandre, Paul Lovens, Sebi Tramontana, Carlos Zingaro: 06/ Just Now Six 07/ Just Now Seven 08/ Just Now Eight 09/ Just Now Nine

Joëlle Léandre - At Le Mans Jazz Festival - 2006 - Leo Records. Distribution Orkhêstra International.



Roger Doyle: Baby Grand (BVHAAST - 2006)

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Après avoir terminé ses études à la Royal Irish Academy of Music, le pianiste Roger Doyle s’est focalisé sur la musique électroacoustique, composant quelques travaux jusqu’à obtenir, en 1997, le Prix « Œuvre d’esthétique à programme » au Concours Musique et Arts sonores électro-acoustiques de Bourges.

Inauguré par une composition qui mêle avec humour les accents romantiques d’un grand piano et les digressions facétieuses d’un orgue minuscule (Baby Grand), Baby Grand présente ensuite 5 compositions illustrant le martyre de Saint Jean-Baptiste. Evocation à moitié historique prétexte à révéler quelques influences (Debussy, Satie, Hartmann sur Salome’s Entrance), à donner dans la bande originale classique (Banquet Medley) ou de style plus pompier encore (Salome’s Dance), à tout sacrifier enfin à l’introspection opaque (Salome’s Lament).

Et sur le mouvement lent d’une telle lamentation, voici la musique rattrapée par des défauts que le pianiste parvenait à dissimuler jusque là. Mesuré auparavant, le classicisme déteint au point d’en devenir étouffant sur les deux temps de Budawanny, pour défendre ensuite quelques nappes inqualifiables de synthétiseur salace sur Housekeeper.

Heureusement, Doyle n’ira pas outre ces mauvaises proportions, préférant le piano répétitif et plus discret (lointain, même) de Mansard, ou la progression mélodique sombre et dissonante de Ten Themes. Pour s’en sortir un peu moins mal, seulement. Au son d’une musique contemporaine gérant maladroitement ses penchants avilissants pour la variété instrumentale.

CD: 01/ Baby Grand 02/ Salome's Entrance 03/ Banquet Medley 04/ The Temptation of John the Baptist 05/ Salome's Dance 06/Salome's Lament 07/ Budawanny 1990 08/ Budawanny 2003 09/ Housekeeper 10/ Mansard 11/ Ten Themes (all is bright)

Roger Doyle - Baby Grand - 2006 - BVHAAST.


Gebhard Ullman: Cut it Out (Leo Records - 2006)

ullmanDéjà pleinement investi au sein du Clarinet Trio, Gebhard Ullman estime autrement les possibilités du travail à 3 aux côtés du bassiste Chris Dahlgren et du batteur Jay Rosen (membre, lui, du Trio-X). Le temps d’un Cut It Out plus que subtil.

Si ce n’est sur Lolligager – morceau qui balance entre un swing incertain et une marche lente, signé Dahlgren -, le trio choisit de donner dans l’improvisation. Astucieuse, celle-ci, qui combine les vues exigeantes et les codes de bonne sociabilité, au rythme soutenu d’un free jazz abordable (Walking Under Trains) ou au son d’accalmies déposées (Calling Mr. Waits No.2, U.S.O. Ballad).

Passant de la clarinette (basse) à la flûte (basse), Ullman ne cesse de creuser le sillon de ses graves à forces d’intentions répétitives (Grid Speak), de laisser-aller généreux (Calling Mr. Waits No.1) ou plus introspectif (Mbira). D’accord aussi pour suivre les conseils de ses partenaires, qu’il s’agisse de la course directive de Rosen (Walking Under Trains) ou des boucles instituées via sampler dont use Dahlgren (Bass/Bass, Epilog).


Une fois seulement, le trio peut donner l’impression de faire fausse route, sur No Mouthpiece, pièce d’expérimentale convenue. Partout ailleurs, il aura su gérer à merveille les changements d’humeur et de tons, décidant d’apaiser ici pour mieux fulminer là, refusant toujours l’acharnement fatal.

CD: Cut It Out (part 1) 01/ Grid Speak 02/ Calling Mr. Waits No. 1 03/ U.S.O. Ballad 04/ Lolligager 05/ No Mouthpiece Cut It out (part 2) 06/ Calling Mr. Waits No. 2 07/ Mbira 08/ Walking Under Trains 09/ Bass/Bass 10/ Epilog (Ballad No. 2)

Gebhard Ullman - Cut it Out - 2006 - Leo Records. Distribution Orkhêstra International.


Gintas K: Lengvai / 60 X One Minute Audio Colours of 2KHz Sound (Cronica Electronica - 2006)

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De sa Lituanie natale, Gintas K adresse au reste du monde sa vision d’une musique électronique expérimentale, qui oscille entre une efficacité narquoise et un parti pris plus difficile à entendre. Meilleur exemple en date, le double album produit cette année par Cronica Electronica.

D’un côté, Lengvai, manifeste post-techno léger à force de minimalisme revendiqué. Avec peu, Gintas K construit de mini structures rythmiques faites pour accueillir les inserts de toutes natures : bourdon, larsens, souffles et craquements. Quelque soit les matériaux utilisés, le musicien adopte une posture ludique qui surprend souvent l’auditeur, l’amuse parfois, pour le convaincre enfin de l’évidente originalité de ses dynamiques malléables.

De l’autre côté, 60 X One Minute Audio Colours of 2 KHz Sound, sur lequel 60 échantillons d’une minute respectent la fréquence annoncée. Se contentant d’abord d’un larsen au ton changeant au gré des plages, l’homme lui destine ensuite quelques effets : oscillations, découpes, adduction de crachins ou d’inserts acoustiques divers. L’aigu, malgré les obstacles, court toujours, faisant naître rapidement pour divulguer ensuite crescendo une lassitude insurmontable.

Reconnaître qu’ici le divertissement, réussi, aura eu raison de la recherche, vaine et sourcilleuse. Pour apprécier comme il se doit les rythmes fabriqués à partir de presque rien de Lengvai, plutôt que de chercher, sinon un sens, du moins une qualité, aux 60 minutes suivantes.

CD1: Lengvai: 01/ Lengvai 02/ Ilgiau Ilgiau 03/ Kulgrinda 04/ Koto 05/ Early Set - CD2: 01-60/ 60 X One Minute Audio Colours of 2 KHz Sound

Gintas K - Lengvai / 60 X One Minute Audio Colours of 2Khz Sound - 2006 - Cronica Electronica.


John Hegre, Maja Ratkje : Ballads (Dekorder, 2006)

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Pour s’être échappé momentanément de Jazzkammer (duo qu’il forme habituellement avec Lasse Marhaug, repéré, entre autres labels, par Smalltown Supersound ou Rune Gramofon, le Norvégien John Hegre a pu succomber autrement aux joies de l’accouplement. Auprès de sa compatriote, compositrice et chanteuse Maja Ratkje – issue, elle, de Spunk -, il dépose sur Ballads une musique électroacoustique rassurante.

Jouant d’abord d’accrocs rythmiques, d’interventions brutes de guitare bientôt bouclées, le duo installe un paysage sonore fait de peu de choses, certes, mais judicieuses toutes, et engageantes. Frottant ici les micros de sa guitare électrique, osant là l’apparition d’un brin de mélodie, Hegre arrange selon différents modes les constructions d’électronique raisonnée qu’il fomente avec Ratkje.

Field recordings montés en avalanches (Private Matter), assimilations nobles d’éléments de musique concrète (Hesitating Interruptions of Spring), ou superpositions aléatoires d’expérimentations hybrides (Art Compasse), Hegre et Ratkje convainquent presque à chaque fois – exception faite pour un Hammock Moods atmosphérique, pauvre et traînard – de la pertinence des fruits de leur rencontre. Raisonnant les égards fiévreux qui les ont fait connaître pour déposer, ensemble et soulagés, un Ballads vibrant.

John Hegre, Maja Ratkje : Ballads (Dekorder / Metamkine).
Edition : 2006.
CD : 01/ Autumn Leaves 02/ Binoculars and Traces 03/ Private Matter 04/ Blues for Silent Bakers 05/ Hesitating Interruptions of Spring 06/ A Quiet Day at The Office 07/ Art Compass 08/ Hammock Moods
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
 


Stéphane Spira: First Page (Bee Jazz - 2006)

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Dans la jungle inégale des jeunes jazzmen français, Stéphane Spira fait figure d’original. Jadis partenaire du pianiste Michel Graillier (qui collabora aussi avec Steve Lacy, Chet Baker ou Pharoah Sanders), le saxophoniste a dirigé son premier enregistrement studio sans chercher une seule fois à vouloir faire moderne. Quand la plupart de ses collègues s’engouffrent dans le piège d’une électronique qu’ils ne savent pas estimer – et donc, ringarde – ou rêvent, pacificateurs superbes, d’embrasser des us et coutumes qui les dépassent sous prétexte de croiser chaque jour une foule cosmopolite dans les couloirs du métro, Spira a préféré construire un disque de facture classique, certes, mais à l’intelligence devenue rare.

Encouragé par les gimmicks efficaces du piano d’Olivier Hutman (Five Times a Day) ou de la contrebasse de Gilles Naturel (Bric à Broc), Spira déroule son phrasé infaillible, évoquant ici au ténor le Coltrane de Blue Train (L’excès à petites doses), rappelant sur Nazza Cannonball Adderley, ou appliquant sur R.V. Bossa, auprès de l’invité au bugle Stéphane Belmondo, la sérénité rassurante de Stan Getz.

Amateur de contrastes délicats, Spira dépose toute sa sensibilité le temps d’un standard (The Peacocks) après avoir évolué avec agilité sur le rythme capricieux de la batterie de Philippe Soirat (L’excès à petites doses) et avant d’échanger à nouveau avec Belmondo un swing plus qu’efficace gonflé par un recours réfléchi à la répétition du piano et de la contrebasse (Then He Knows).

Bien sûr, à ne pas donner dans les erreurs que propage son époque, Stéphane Spira risque de se voir refuser clefs institutionnalisées, bons points critiques, et avec eux l’écoute du public déficient, qui ne cessera jamais de bâfrer où on lui montre. L’anticonformisme véritable jamais salué sur le moment, compter sur les retardataires pour louer ensuite plus haut que les autres leur amour des premières heures pour l’artiste passé pourtant sans eux. Ce serait oublier qu’il existe une autre possibilité : qui consiste à écouter aujourd’hui First Page, même si le nom de Stéphane Spira est encore ignoré des faussaires culturels, dispersés en salles de concerts où l’on parle et se montre bien plus que l’on écoute.

CD: 01/ Bric à broc 02/ Five Times A Day 03/ R.V. Bossa 04/ L’excès à petites doses 05/ The Peacocks 06/ The He Knows
07/ Angel 08/ Nazza 09/ Babeth 10/ Luiza

Stéphane Spira - First Page - 2006 - Bee Jazz. Distribution Abeille Musique.



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