Akchoté / Henritzi : Pour et Contre > Masayuki Takayanagi
A l’occasion de la parution, début mai, du livre Guitare Conversation de Noël Akchoté et Philippe Robert, le son du grisli ressuscite le temps d’une autre conversation : celle à laquelle se sont livrés Michel Henritzi et le même Akchoté, qui compose au fil des impressions une discographie de la guitare jazz faite d’une vingtaine de références. Dix ont été choisies par Henritzi, dix autres par Akchoté, auxquelles réagissent ensuite l’un et l’autre. En introduction de ce long échange – que vous retrouverez compilé à cette adresse au son du grisli –, Noël Akchoté explique...
Ce qui me fait un peu sourire avec Takayanagi, c'est l'effet d'exotisme japonais, qu'il peut avoir sur certains. Je veux dire par là qu'il serait un musicien français comme on en a eu quelques-uns, au parcours équivalent (entre improvisation radicale, séances de variétés, aller-retour entre jazz et improvisation libre), ça ne serait pas si désirable (on a peu d'égard pour Gérard Marais, Joseph Dejean ou Claude Engel ici). Toutes modes gardées, il a eu un parcours que je connais bien, entre le métier et les envies, et qui en tant que tel déjà me parle beaucoup (j'ai commencé dans ce contexte, j'ai toujours préféré les contingences aux situations de principe, puristes ou isolées, le paradoxes est porteur d'évolution).
Bien sûr chez lui il y a cette touche ultra-radicale japonaise, ce besoin libératoire d'envoyer tout par-dessus bord, de toucher aux limites sonores, d'aller au point de rupture directement. Il y a quelque chose de toujours très frais, sans fausses pudeurs, chez lui, tout est ici et maintenant, lorsqu'il joue du jazz c'est du jazz, puis autre chose, autre chose. C'est d'une fraicheur qui ne cherche pas l'adhésion mais la cohérence avec soi-même, c'est assez rare, toujours sur le versant en devenir, en construction, in progress. Ça me parle vraiment à l'oreille, je vois très bien la situation. Je trouve presque dommage (et sans doute dommageable), de ne pas réunir l'ensemble des enregistrements de Takayanagi, d'en avoir une vue d'ensemble dans son étendue, de ne pas juger dans un premier temps entre séances alimentaires et projets radicaux, on aura toujours le temps de choisir, plus tard. Délicieux. Noël Akchoté
Il y a assez peu de guitaristes japonais free qu'on a pu entendre ici, Masayuki Jojo Takayanagi est le plus connu, peut-être le seul à l'être. De façon générale il n’y avait que peu de guitaristes pour participer à ces sessions d'improvisation radicale au Japon fin des années 1960, début des années 1970. Mais nombre de saxophonistes fameux, de pianistes reconnus internationalement, de batteurs créatifs.
Isolé, Takayanagi a pourtant marqué et révolutionné la pratique de la guitare comme nul autre. Il y a un Takayanagi jazz « Lonely Woman », un autre de bossa nova « Cool Jojo » et au-delà des idiomes celui qui a monté des barricades soniques de feedback (son feedback sur l'album du Masahiko Togashi Quartet We Now Create serait le premier feedback enregistré sur un album de jazz, en 1969) et d'explosions électriques. De plus en plus isolé parce que rétif à tout compromis esthétique et politique, il jouera souvent seul, radicalisant son projet dans « Action Directe », guitares sur table, radios et chaînes, anticipant la musique noise.
Exotisme ? Sans doute, qui a pu aussi profiter à Keiji Haino ou Makoto Kawabata, cette façon aussi que nous avions à y entendre des liens avec les arts traditionnels japonais, même quand ils en étaient absents. Ce que j'ai entendu chez lui, je ne l'ai entendu nulle part ailleurs ou peut-être chez Sharrock, cette façon d'éventrer son instrument, de le brutaliser, de le pousser dans ses possibles, vers un extrême contemporain : le bruit. Il n'a jamais joué en France, parce que justement il ne jouait pas en kimono, il ne se faisait pas harakiri non plus (encore que).
Curieusement, moi qui suis impliqué dans le noise, je préfère ses enregistrements jazz, sa version de « Lonely Woman » est à pleurer. Et ce « Trio III », ce jeu brut et non brutal, qui découvre une mélodie sublime, note après note, et se désagrège, rappelant la fête de l'hanami, l'impermanence de la beauté. Michel Henritzi