Akchoté / Henritzi : Pour et Contre > Johnny Guitar Watson
A l’occasion de la parution, dans quelques semaines, du livre Guitare Conversation de Noël Akchoté et Philippe Robert, le son du grisli ressuscite le temps d’une autre conversation : celle à laquelle se sont livrés Michel Henritzi et le même Akchoté, qui compose au fil des impressions une discographie de la guitare jazz faite d’une vingtaine de références. Dix ont été choisies par Henritzi, dix autres par Akchoté, auxquelles réagissent ensuite l’un et l’autre. En introduction de ce long échange – que vous retrouverez compilé à cette adresse au son du grisli –, Noël Akchoté explique...
Johnny Guitar Watson c'est la réponse sans plus la moindre question pour moi. Ce titre je le découvre gamin chez le disquaire de quartier (en haut du square), rien que pour la pochette je veux l'objet, je l'achète avec ma tirelire, le glisse dans mon (encore) mange-disque, et là, la lumière fut.
Comment pouvait-on jouer ainsi, à l'arrache, aux doigts, si swing mais disco, si tout-en-un, si jazz quand même ? Sa voix n'est rien d'autre que son jeu, le même son exactement (forcément, mais je n'y pense pas encore, à cet âge). Il me rappelle tous les Cab Calloway, Slim Gaillard, Dizzy Gillespie ou Louis Armstrong, la même attitude, appelez cela comme vous voudrez, pour moi ce sera jazz, donc musique tout court (si vaste).
Une note de JGW, et tous mes sens sont en alerte, ça n'a absolument pas changé, la même intensité, le même frisson, ce type est un génie absolu, d'intégrité, de cohérence (comme une roche), un diamant. Si la musique existe, il en est l'incarnation, donc la preuve, peut être juste à côté du Blind Willie Johnson que l'on envoie dans l'espace faire entendre (sait-on jamais) à une hypothétique vie extra-terrestre. Mieux ? Connais pas. [Noël Akchoté]
Début des années 1980, j’étais totalement immergé dans les musiques industrielles et le post-punk, je passais sans discontinuité les albums de Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire, Chrome, Joy Division, A Certain Ratio… tous ces groupes qui me semblaient être la bande-son parfaite pour un siècle finissant qui s’annonçait désenchanté. Un ami, qui par ailleurs était vendeur à la FNAC, à sa grande période où cette coopérative culturelle importait tout ce qui était possible, me fit découvrir simultanément Barry White et Johnny Guitar Watson. Je ne peux pas dire que j’aimais ces deux musiciens totalement iconoclastes au regard de la musique dépressive de ces petits blancs auxquels je m’identifiais, y trouvant un lien politique avec la « révolution électronique » annoncée par William Burroughs. Mais la disco et la soul avaient semé des graines dans mon inconscient, associant les musiques noires au corps, à la sexualité, débarrassé de tout psychologisme freudien, le corps comme machine désirante, le corps comme rythme.
Ce qui était fascinant c’était le contraste entre la guitare fiévreuse et sexuée de Johnny Guitar Watson et les guitares froides et cliniques d’un Keith Levene. On passait souvent nos weekends dans des usines désaffectées à écouter sur un ghetto-blaster la scène Factory, Chris & Cosey, David Bowie, les Supremes et Guitar Watson, bande-son parfaite pour ce décor de fin du monde. Yves Adrien était un peu notre MC, ses mots collaient ces musiques ensemble, comme les deux faces d’une pièce, le Yin et Yang de nos nuits blanches.
A la même époque la musique afro-américaine commençait à se ré-inventer dans les villes industrielles du Nord, Afrika Bambata à NYC, White House dans la banlieue londonienne, en partage une esthétique machinique. Le rythme des machines n’apparait pas dans le jeu de Guitar Watson, il reste lié au corps, au sang qui bat dans les veines, déconnecté des mutations à venir, guère d’effets électroniques, le son est direct mais capiteux, suave. Son jeu est tout en phrases syncopées, c’est encore un guitariste old school, où ce sont les doigtés qui importent, le rythme tenu par la main droite qui entraîne le morceau vers sa résolution, le son d’une guitare n’est autre que le son d’une guitare. Aucun débordement sur « Jet Plane », ni même d’envolée psychédélique comme aurait pu en prendre Jimmy Hendrix, lui déjà entre le son et le jeu. Guitar Watson est presque en retrait, au service du morceau, de ce corps huilé qui bouge, glisse, danse, nous appelle sur la piste. Qu’est-ce qu’aurait joué Keith Levene sur « Jet Plane » et Guitar Watson sur « Death Disco » ? [Michel Henritzi]