Akchoté / Henritzi : Pour et Contre > René Thomas
A l’occasion de la parution, au printemps prochain, du livre Guitare Conversation de Noël Akchoté et Philippe Robert, le son du grisli ressuscite le temps d’une autre conversation : celle à laquelle se sont livrés Michel Henritzi et le même Akchoté, qui compose au fil des impressions une discographie de la guitare jazz faite d’une vingtaine de références. Dix ont été choisies par Henritzi, dix autres par Akchoté, auxquelles réagissent ensuite l’un et l’autre. En introduction de ce long échange – que vous retrouverez compilé à cette adresse au son du grisli –, Noël Akchoté explique...
René Thomas est une légende, un mythe pour moi qui ne l'ai jamais vu (il meurt d'une sorte d'overdose plus ou moins accidentelle, mélanges douteux, en 1975). Il est une rumeur qui plane sur tous, le meilleurs d'entre tous, mais complexe, foutraque aussi, les anecdotes de René sont légion. Django Reinhardt l'adoube tel son dauphin, il dit à qui veut l'entendre que René c'est le futur de la guitare pour lui. Django vient de passer à l'électrique jusqu'à son ultime album (1953) où il devine toutes les possibilités de ce nouvel instrument.
René c'est une capacité à improviser, à parler avec l'instrument, quasiment unique (Sonny Rollins répète qu'il est son guitariste favori, il enregistre avec tous les plus grands, passe aux États-Unis, discute avec Coltrane). Mais il est absolument incapable de penser carrière, il vit sa vie au jour le jour, oublie ou laisse des choses un peu partout (à Bruxelles on trouve une mémoire vivante de son passage, chez des tas de gens, chacun a gardé un petit morceau de quelque chose), il faudrait un jour penser à les rassembler.
Deux de mes batteurs favoris ont été profondément marqués par René : Jacques Thollot d'abord qui est très proche de la famille Pelzer et joue longtemps avec lui, puis Han Bennink qui enregistre son ultime album (T.P.L., Thomas-Pelzer Limited, 1974). René reste pour moi le guitariste le plus improvisateur, le plus proche d'un saxophoniste ténor aussi dans son placement, avec ce son inimitable de la Gibson ES-150, le modèle de Charlie Christian. Là aussi une vie n'y suffira pas à l'entendre, l'étudier, l'apprécier. Noël Akchoté
Que peut nous dire un album de jazz sur notre époque, le siècle a changé, effacé par sa fragmentation dans le numérique, notre rapport à la musique aussi. Comment le public de Chet pouvait l’entendre à l’époque ?
Comme du papier peint tendu dans un salon cossu où l’on était là pour prendre un verre, prolonger la journée, rencontrer des amis ? La musique pour remplir les blancs de la vie ? Album de 1962, René Thomas y tient la guitare, y prend la place de soliste plus encore que Chet Baker presque en retrait sur cet enregistrement, tous les instruments résonnent à part égale, il n’y a que la batterie autour de laquelle tout semble tourner, jeu de planètes autour de cet axe.
Ce qui frappe c’est l’attaque sur chaque note, chacun marquant le tempo, c’est le rythme qui tient le devant, plus que la ligne mélodique, le thème. On entend le sang qui court dans les tripes des instrumentistes, corps tanguants dans un tourbillon de notes éclatantes, tenues. Chet is back, mais reste derrière, dans l’antichambre, je ne sais pas où il était vraiment, mais il n’est pas le cœur ici, il est dans le retrait comme si la musique, cette musique était un corps hybride, anonyme, qu’au fond seul comptait le jazz. Michel Henritzi