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Le son du grisli
 
 
18 décembre 2022

Akchoté / Henritzi : Pour et Contre > Pat Martino

henritzi

A l’occasion de la parution, au printemps prochain, du livre Guitare Conversation de Noël Akchoté et Philippe Robert, le son du grisli ressuscite le temps d’une autre conversation : celle à laquelle se sont livrés Michel Henritzi et le même Akchoté, qui compose au fil des impressions une discographie de la guitare jazz faite d’une vingtaine de références. Dix ont été choisies par Henritzi, dix autres par Akchoté, auxquelles réagissent ensuite l’un et l’autre. En introduction de ce long échange – que vous retrouverez compilé à cette adresse au son du grisli –, Noël Akchoté explique... 

son du akchoté henritzi pat martino

Pat Martino je le découvre sur deux cassettes que me donne mon premier professeur de guitare jazz, Jean-Claude André (deux albums sur Futura Swing de Terronès, JCA Trio At Home et Blues And News d'Hal Singer, 1971), qui enseignait chez Paul Beuscher, lui proche de Jimmy Gourley (qui ne voulait pas me prendre, pas de débutants) et Jean Bonal (Guitariste de jazz d'une époque, entre albums de jazz d'ambiance (il débute chez Alix Combelle), et Sidney Bechet ou Michel Legrand, puis accompagnateur de Georges Guétary, Jean Sablon, Francis Lemarque, Aznavour). Dans cette même école enseignait le bassiste Francis Darizcuren (Claude Nougaro, Serge Gainsbourg, Nino Ferrer, Michel Sardou, etc.), le genre de figure que tout le monde entend plusieurs fois par jour sur les radios, sans (pour la plupart), ne jamais même savoir leurs noms.

Takayanagi aura fait ce même métier, un peu plus tard, mais dans un rapport similaire entre volonté, désirs et nécessités. J'ai onze ans, tout à apprendre, et je travaille mes deux pièces solo de Big Bill Broonzy, je les jouerai au concert de fin d'année, salle Gaveau (en participant aussi au chœur de la garde montante, dans le Carmen de Bizet). Pat Martino reste inatteignable, personne n'a jamais joué aussi serré, aussi systématique et droit, dans une sorte de volonté de couvrir l'instrument dans toute son étendue (pour ce qui l'en est du manche et de ses limites ou impasses). Rapidement son premier livre d'analyse de ses phrases (avec une K7 d'accompagnement, sur la légendaire série REH, à cette époque on trouve encore assez peu de transcriptions ni de méthodes, cette série issue du G.I.T ou tous rêvent de partir étudier, va permettre d'essayer de comprendre mieux les choses, un autre opus présente les intervalles de Joe Diorio, une approche élargie du manche par Don Mock, d'autres encore). J'ai toujours, et le reste, été fasciné par la très haute précision du jeu de Martino, qui reste un modèle à étudier. Noël Akchoté

Pat Martino, lui aussi enfant trop doué, élève de Johnny Smith et de Wes Montgomery, professionnel à 17 ans, technique effrayante. Là encore ce qui caractérise ce guitariste jazz comme beaucoup d’autres c’est sa fascination pour la vitesse, peut-être liée à l’époque, la ronde des moteurs qui tournent sur les écrans et les highways. Aucun temps mort, la vie est trop courte, peut-être, peut-être, mais sa musique semble comme en apnée, plongée dans des techniques de legato, ça n’arrête jamais, run, run, run. L’époque (on est dans les sixties), est entrée de plain-pied dans le spectacle, la prouesse technique, le dépassement, l’homme-machine. Pat Martino est toujours devant, comme Jeff Beck ou Eric Clapton dans le rock, je n’entends plus la musique mais bien autre chose qui est de l’ordre de la performance, le Guinness Book, entrer dans l’Histoire.

Je dois me tromper, je n’en doute pas parce qu’il y a aussi un amour de la musique, on l’entend derrière, des lignes de fuite, des accords à trouver, le dépassement peut aussi dire qu’on ne doit pas rester dans ce qui est connu, déjà joué, aux anciennes manières, on oppose la nouveauté de la vitesse, le vertige moderne. Après tout on marche sur la Lune en 69. Mais pour moi ça va trop vite, je préfère ces guitaristes laborieux, lents, ceux du blues primitif (je sais il y a des contre-exemples) ou un Marc Ribot, un Bill Orcutt, un Jeff Parker, ces jeux rudes, profonds comme des temples bouddhistes, où l’horloge semble s’être arrêtée, morte dans nos bras. Juste une seule note, rien qu’une, finissant dans un silence assourdissant, déclarant l’espace autour de nous, comme les cloches mourantes.

Au Japon il y a cette tradition de bar jazz, les jazz kissa, où cette musique tourne sans cesse, nous accompagne dans notre solitude aussi surement que les verres ou le zinc du comptoir où d’autres ombres sont accoudées, on y entend surtout ce jazz d’ameublement. Je me rappelle un soir à Yokohama, j’étais assis au Chigusa (le premier jazz kissa a avoir ouvert au Japon après-guerre), le patron m’a apporté un gros catalogue regroupant des milliers de références de disques jazz, pour que j’en choisisse un qu’il mettrait à la suite du Dolphy qui tournait. J’avais désigné d’un doigt, ne parlant pas japonais, un disque de Masayuki TakayanagiLonely Woman, disque d’une grande beauté, album sans la violence de jeu qu’on lui connait, un disque juste un peu heurté, déconstruit, mais qui gardait amoureusement le thème en lui. Bruyant ? Non non pas vraiment, rude peut-être. Les premières notes ont résonné dans le café, terriblement belles. Un à un le maigre public (4 ou 5 consommateurs), ont quitté la salle. C’est ce jazz que j’aime, on doit l’écouter pleinement, pas seulement l’entendre, le vivre de l’en-dedans. Parfois pleurer avec, parce qu’il y a son histoire. Michel Henritzi

Image of A paraître : Guitare Conversation de Noël Akchoté & Philippe Robert

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