Festival MIMI : Marseille, 6-10 juillet 2016
Mise en bouche le mercredi soir (6 juillet) sur la place d’armes du Fort Saint-Jean en partenariat avec le MuCEM et son plan B (une animation multiculturelle organisée durant la première semaine de juillet !). Au programme, une rencontre improvisée entre le batteur Ahmad Compaore et le violoncelliste Vincent Laju. S’y mêlent de temps en temps des sonorités d’échantillonnages, notamment d’instruments à cordes orientaux. Deux invités, aussi : d’abord une chanteuse originaire de Chicago pour deux blues, puis un tromboniste (Nicolas ?) qui joua davantage le jeu de l’improvisation dans une pièce au départ assez répétitive mais peu à peu plus détonante et déstructurée. Une prestation sympathique et conviviale qui précédait un court film d’une comédie musicale sénégalaise.
La première soirée frioulane fut des plus réjouissantes. Surtout pour la prestation de la chanteuse espagnole Fatima Miranda, accompagnée par Marc Egea, sa vielle à roue et son duduk Ce fut un véritable show par sa mise en scène de la fusion des sons obsédants entre voix et instruments, au point d’apparaître presque comme une fusion corporelle, présentant pour un titre un personnage à quatre mains (une réincarnation de Shiva ?), les mains de Fatima Miranda saisissant la vielle de son acolyte tandis que celui-ci officiait au duduk. A la fois actrice, récitante, chanteuse et lectrice, Fatima Miranda fit vibrer l’auditoire, le subjugua, tandis qu’Egea multipliait les type de sonorités, frappées, égrenées, percussives, parfois empreintes d’échos de sonorités chinoises. Ce fut aussi un cérémonial quelque peu christiano/païen décalé lorsqu’elle s’agenouilla sur un prie-Dieu pour déclamer un texte où il était question de Marie. Le concert se termina sur une polyphonie de type corse ou sarde, judicieusement intitulé Corsarde ! La deuxième partie de la soirée, intitulée Nuit du coup de rasoir, resta hispanique avec Los Piranas, un trio guitare / basse / batterie colombien, et sa musique charpentée, forte et proposant une sorte de cumbia aux accents psychédéliques, et enivrants.
La seconde soirée frioulane, intitulée Si je veux, offrait tout d’abord un trio inédit, 4 Hands, 1 Breath (4 mains, 1 souffle) réunissant des musiciens confirmés, Benoît Delbecq et Steve Argüelles pratiquant le piano préparé à quatre mains et le trompettiste, cornettiste Pierre Bastien. La formule est inédite, la musique proposée l’est toutefois un peu moins pour ceux qui suivent le travail de Pierre Bastien depuis les années 1980. Particulièrement pour les premières pièces. En effet, les deux pianistes, avec leurs frappes des cordes du piano préparé et d’autres manipulations reproduisent presque mécaniquement les effets du mecanium dont s’entoure généralement le souffleur avec ses effets variés. Il y eut toutefois quelques pièces, en particulier dans la seconde partie, où la musique bascula davantage au profit des pianistes, qui prirent l’initiative, notamment au moment où ils s’emparèrent de ficelles pour frotter les cordes du piano, inversant ainsi la dualité mains / souffle, ce dernier sortant alors davantage de son champ habituel, en étendant son registre… Le second concert de la soirée fut un peu paradoxal. On attendait, comme moi, le luthiste néerlandais avec son luth renaissance ou son luth élaboré spécialement pour lui par le facteur Michael Schreiner. Des instruments toutefois trop fragiles pour affronter les embruns marins des iles du Frioul. Du coup, Jozef van Wissem n’avait avec lui que sa guitare douze cordes. Par ailleurs, et bien qu’il ait déjà eu le Chilien Domingo Garcia-Huidobro comme partenaire (sur deux titres de l’album It Is Time for You to Return, paru chez Crammed), la musique proposée était aussi celle de son duettiste. Une musique moins délicate que celle qui fait son originalité, plus proche d’une forme de dark ambient (que l’on retrouve toutefois aussi dans certains enregistrements de Jozef van Wissem, en particulier dans la bande sonore du film de Jarmush, Only Lovers Left Alone). Malgré un court passage du Chilien au piano, ce fut surtout un duo de guitaristes, au service d’une musique un peu répétitive mais sombre par ses saturations et larsens, dans laquelle Jozef van Wissem apparaîssait comme l’élément stable tandis que Domingo Garcia-Huidobro vibrionnait, bougeait, avec une attitude scénique encore un peu ado…
La troisième soirée, celle de la Nuit de l’os qui compte, se caractérisait par sa formule « supergroupe » tout en offrant un clin d’œil à une partie de l’histoire des musiques innovatrices. Ainsi Rêve Général réunissait la totalité des musiciens de la formation austro-tchèque Metamorphosis et les trois quarts de Volapük (exit Michel Mandel !). Bref, une formation 2 violons, 2 violoncelles, 2 guitares et 1 batterie. Pour qui connaît les deux formations, pas de surprises stylistiques, mais une démultiplication de leur propos, jouant pour l’essentiel le répertoire de leur premier CD, Howl, y compris un thème de Volapük, Dunaj. Musique de chambre dense, parfois sautillante, un moment empreinte de la nonchalance d’une guitare hawaïenne, sur des textes tantôt en français, tantôt en japonais, si ce n’est en allemand (Die Glocke, pièce inédite). L’autre « supergroupe » de la soirée réunissait les belges d’Aksak Maboul, autour de Marc Hollander et Véronique Vincent (Lucien Fraipont, Faustine Hollander, Erik Heerstermans), et les français d’Aquaserge, à savoir Julien Gasc et Benjamin Glibert. Bref, de jeunes musiciens autour des deux vétérans VV et MH. Les sept musiciens proposèrent au public diverses pièces issues des répertoires de l’une ou l’autre des deux entités, aisément identifiables. Le répertoire d’Aksak Maboul (chez les Aborigènes, Je pleure tout le temps…) provenait de l’album Ex-Futur Album, enregistré du début des années 1980 avec des musiciens qui se partageaient alors avec le groupe frère, Les tueurs de la lune de miel, et qui ne furent publiées qu’il y a quelques mois. Celui des Français était bien sûr plus récent (album A l’amitié entre autres). La formation de cette soirée proposa toutefois une pièce commune répétée au courant de la semaine, Traces sur la glace. La prestation souffrit à mon avis d’une sonorisation parfois trop saturée pour goûter pleinement à l’esprit de la musique, qui d’ailleurs offrit – mais c’est aussi le cas de l’album de 1984 ! – une facette un peu trop pop d’un groupe qui fut, avec ses deux premières réalisations, Onze danses pour combattre la migraine, Un peu de l’âme des bandits nettement plus novateurs et iconoclastes. On retrouva une pratique plus expérimentale dans le traitement sonore sur un thème en rapport avec des textes d’Henri Michaux.
La dernière soirée, ci-devant Nuit pour prendre sa carte, fut dévolue à des musiques qui ne sont pas vraiment ma tasse de thé – il en faut toujours une ! Je n’ai pourtant pas détesté The Brother Moves On, les Sud-Africains, et même pris un peu de plaisir à écouter une prestation de musiciens engagés au service à la fois d’une musique foisonnante par ses rythmes, délicate et chatoyante (par le jeu du guitariste) et le chant qui pouvait devenir déclamation. De la même manière, je n’ai pas accroché à la prestation de Saul Williams, bien que son accompagnement instrumental (le laptop de Thavius Beck) procédait davantage des nouvelles techniques : poète et rappeur new yorkais, il officiait à la voix, souvent déclamatoire, sur les images d’un film qui présenta une série d’images dévolues à divers personnages, parmi lesquels on pouvait reconnaitre Mohammed Ali, Donald Trump, ou encore la caricature d'un jazzman des années trente...
Pierre Durr (compte-rendu & photos) © Le son du grisli