Bernard Heidsieck : Poésie Action (a.p.r.e.s., 2015) / Les Tapuscrits (Les Presses du Réel, 2013)
Dans un coffret rouge : un livre et un film. De quoi faire, et aborder Bernard Heidsieck (1928-2014) sans pour autant pouvoir (et surtout avoir à) en résumer l’activité, ni l’importance. Un présupposé quand même : la poésie d’Heidsieck se lit à voix haute et, dans le meilleur des cas, s’entend.
Un poète qui travaille dans la banque – après tout, il y en a eu d’autres : gratte-papiers, assureurs, ambassadeurs… A l’écoute de Stockhausen (il citera aussi Webern et Boulez), Heidsieck se dit que la poésie a pris un retard qu’il est plus que temps de rattraper. C’est alors une affaire de pouls et de battements : derrière DADA et (aussi) Pound, inspiré par l’usage qu’ont fait du magnétophone Gysin, Burroughs, Giorno… et puis par l’écoute d’un disque médical, Stethoscopic Heart Record, Heidsieck travaille à « mettre le poème debout ».
C’est un beau portrait que signent là Anne-Laure Chamboissier, Philippe Franck et Gilles Coudert, en rapprochant extraits de lectures et entretiens avec quelques-uns de ses proches (sa compagne, John Giorno, Jean-Jacques Lebel…). Bernard Blistène, lui, se souvient d’une conversation au cours de laquelle Heidsieck évoqua ses Poèmes-Partitions : à la question « vous voulez dire que le poème n’existe à ce moment pour vous que lorsqu’il est publiquement retransmis ? », le poète répond alors : « Absolument ! »
A défaut de les entendre, on pourra lire – avec les Biopsies (1966-1969) et les Passe-Partout qu’elles deviendront (1969-1980) – ces Poèmes-Partitions dans les Tapuscrits que publient Les presses du réel. L’ouvrage est monumental, qui renferme les fac-similés de cent-vingt poèmes qui, sans cesse, jouent avec, par et dans le son : chutes de « a », traînées de « u », histoires filantes, alphabets réorganisés, collages fragiles, constellations ramassées, topographies sonores, merveilleux soliloques ou collection de respirations (Kurt Schwitters, Antonin Artaud, Charles Reznikoff, Ghérasim Luca, Arno Schmidt…), et encore, le bruit que fait le whisky que l’on verse.
L’expérience textuelle est sérieuse, qui, tout en cherchant à libérer le poème du papier, joue avec sa mise en page : lettres, mots, lignes, interlignes, paragraphes… Et lorsqu’il déclame, celui qui est parvenu à faire sortir le poème de la page cherche à « donner à voir le texte entendu » : la lecture est devenue musique. Celle de Bernard Heidsieck – que l’on peut d’ailleurs entendre sur disques aux éditions Al Dante – est « inexplicable », dit Olivier Cadiot. C’est le mot juste.
Poésie Action. Variations sur Bernard Heidsieck (a.p.r.e.s. / Les Presses du Réel)
Edition : 2015.
Livre + DVD : Poésie Action. Variations sur Bernard Heidsieck
Bernard Heidsieck : Les Tapuscrits. Poèmes-Partitions, Biopsies, Passe-Partout (Les Presses du réel)
Edition : 2013.
Livre : Les tapuscrits. Poèmes-Partitions, Biopsies, Passe-Partout
Guillaume Belhomme © Le son du grisli