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Le son du grisli
1 février 2014

Interview de Coppice

interview de coppice par guillaume belhomme le son du grisli

Si l’on peut encore facilement se repérer dans la discographie de Coppice, les références que sont Big Wad Excisions & Epoxy la nimbèrent l’année dernière d’un mystère capable de l’approfondir. Soucieux de sons libérés de toute attache instrumentale – passionnés, en conséquence, de nouvelle lutherie et d’appareils retouchés –, Noé Cuéllar et Joseph Kramer lèvent le voile sur leurs recherches sonores à l’heure où le label Quakebasket met gratuitement en ligne des remixes et interprétations d’un de leurs morceaux, Hoist Spell, sous le titre Hoist Spell Extensions… 

Noé Cuellar & Joseph Kramer : Nous nous sommes rencontré en 2009, à l’école dans laquelle nous étions inscrits ; chacun de nous a écouté le travail de l’autre avant de nous rendre compte que nous avions un intérêt commun pour l’intense et calme ouvrage sonore.

De quelle école s’agissait-il ? Le School of the Art Institute of Chicago, au Sound Department.

Vous considérez-vous comme des musiciens ou comme des artistes sonores ? Cet enseignement aborde de nombreux aspects du son : cela va de son concept à sa technique, et de la musique à l’abstraction. Cette école offre la possibilité d’étudier différentes disciplines et encourage ses étudiants à les mêler. La plupart du temps, on ne fait pas de différence entre « musiciens » et « artistes sonores ». On fabrique des sons que l’on juge simplement bon, mais toujours dans le but de composer avec.

Quels ont été vos premiers instruments ? Lors de nos premières séances ensemble, il s’agissait de microphones, d’une shruti-box, et des Ghetto-Blasters modifiés dont nous nous servons encore aujourd’hui.

A quoi ont ressemblé vos premiers essais ? On peut se rendre compte des débuts de notre musique sur notre première sortie, Holes/Tract, enregistré pendant l’hiver 2009-2010 et édité par Consumer Waste en 2012. Les séances de composition et d’enregistrement étaient très contrôlées : cela se passait dans une minuscule cabine acoustique, dans l’obscurité. Dans un sens, cette musique est sortie du studio « par le vide ». On s’est concentré sur la musique qui existait déjà dans les sons intrinsèques à nos instruments plus que dans celle provoqués par des gestes expressifs. C’est ce qui explique que notre technique était à la fois concentrée et précise. Depuis, notre approche de la composition s’est quelque peu développée.

Avez-vous jamais joué d’instruments classiques ? Individuellement, nous jouons et interagissons avec beaucoup d’instruments « classiques », mais nous ne recourrons pas à ces pratiques et ne prévoyons pas d’y recourir dans Coppice. Pas pour le moment, en tout cas.

A quoi ressemblent ces instruments que vous avec inventés ? Notre instrumentarium varie beaucoup d’un projet à l’autre, mais il consiste surtout en un instrument à soufflet préparé de façon électroacoustique et d’appareils électroniques modifiés pour le traitement du signal. En fait, notre répertoire live en offre un bon exemple. Nous nous servons d’un harmonium portable à anches préparées. Il est amplifié, et aussi relié à une collection de lecteurs cassette modifiés. Cela consiste en deux Ghetto-Blasters qui ont subi plusieurs préparations destinées à créer des boucles à partir de la lecture de sons tout juste enregistrés. Notre but étant de créer sur l’instant un signal qui soit unique à chacun des appareils. Un  autre de nos instruments a pour nom Apiary : il a été créé spécialement pour nous, en réaction à notre musique, par l’un de nos amis, Andrew Furse, qui en a aussi assuré la fabrication artisanale. C’est un appareil à deux soufflets, un aérophone à double réservoir d’air avec des panneaux qui contiennent des anches, des vannes et des trous de différentes tailles. L’Apiary est un instrument totalement acoustique mais il peut sonner électronique même lorsqu’il n’est pas amplifié.

top_apiary

... Il y a aussi le Soft Crown, que nous avons utilisé sur notre dernier enregistrement en date (Vantage/Cordoned, à paraître sous peu, ndlr) : lui utilise un filtre unique en son genre fait de matériaux divers. Il s’empare d’un signal audio et l’amplifie à travers ces matériaux dans le but de changer les caractéristiques originelles de ce signal. C’est une technique que nous avons aussi employée dans nos travaux de sculpture sonore.

Big Wad Excisions est un enregistrement d’allure plus électronique que ce que vous avez pu enregistrer avant – je pense notamment à Prune et à Epoxy, qui m’amènent à vous interroger sur votre rapport à la musique concrète. Faut-il y voir un tournant dans votre façon d’envisager votre pratique sonore ? Nous sommes ravis que tu aies remarqué ce virage amorcé avec Big Wad Excisions. Nous nous sommes intéressés depuis quelque temps à rendre un son plus électronique et digital, mais peut-être devons-nous aussi prendre en compte le fait que Big Wad Excisions est un ouvrage qui a été davantage « exécuté ». L’essentiel de ce disque est né du développement du répertoire des concerts que nous avons donnés en 2013, Hoist Spell mis à part. C’est le dernier morceau du disque, il a été composé en studio. Pour ce qui est d’Epoxy et Prune, ce sont deux compositions conçues et interprétées dans l’intention d’être fixées sur un support fixe. Epoxy vient entièrement d’une approche « musique concrète ». Prune, un peu moins, mais peut-être que ce que tu y entends est une composition-étape de notre travail. Nous nous intéressons à différentes manières de composer, et chaque projet est pour nous l’occasion d’explorer une de ces manières. C’est une coïncidence que les deux travaux que tu cites soient sortis sur cassette. Un autre exemple de ce genre d’approche peut être entendu sur The Pleasance and the Purchase, qui est une composition écrite pour les deux faces d’un quarante-cinq tours.

L’abstraction que recèlent souvent vos travaux peut évoquer celle que l’on trouve en musiques improvisées. En écoutez-vous ? Plus largement, quel genre de musique écoutez-vous ? Nous ne jouons pas de musique improvisée avec Coppice. Nous écoutons un large éventail de genres et de sons, beaucoup de sortes de chansons et d’autres formes de musique populaire, du genre qu’on ne peut pas classer. Et puis, il y a la musique de nos amis et de nos collègues, de près ou de loin : Jason Zeh, Nick Hennies, Stephen Cornford, Tiny Music, Katherine Young, Giuseppe Ielasi, Vertonen, et beaucoup d’autres.

big wad holes

Vous intéressez-vous au travail d’autres inventeurs ou détourneurs d’instruments (Hugh Davies, Toshimaru Nakamura, Ivan Palacky…) ? JK : Je connais beaucoup d’instruments personnalisés et les ouvrages qu’ils ont pu donner. Avant tout, je crois que je suis attiré par l’ingéniosité nécessaire au joueur qui veut faire de la musique avec quelque chose qui, au moins jusqu’à ce qu’il s’en approche, n’était pas un instrument. Cela me plaît de penser tout à coup « tiens, quelle superbe idée. J’aurais pu faire la même chose depuis longtemps, mais je n’y avais pas pensé. » J’aime aussi la problématique qui suit souvent la création d’un nouvel instrument ou, dans le cas de Nakamura, d’instrumentalisation. C’est le moment où le joueur doit découvrir des techniques nouvelles et des stratégies qui le mèneront à créer ses propres formes musicales. Les instruments personnalisés et les préparations dont nous nous servons dans Coppice sont à la fois les problèmes et les solutions qui créent le contexte de notre collaboration sonore.
NC : Je suis d’un certain point de vue intéressé par les instruments et leurs inventeurs mais les compositeurs et les techniques m’intéressent davantage que les instruments. En particulier les compositeurs qui sont aussi interprètes et dont les techniques instrumentales sont pour beaucoup dans le caractère particulier de leur musique. Il y a là quelque-chose d’une authenticité séduisante. Par exemple, la musique d’Henry Cowell ne cesse de m’inspirer. Et il n’a pas eu à inventer un nouvel instrument pour être un féroce inventeur de sons.

Vous êtes-vous déjà servi de field recordings dans votre quête de sons nouveaux ? Nous sommes plus intéressés par la création de nouveaux sons et de nouveaux univers sonores… Donc, non, par encore !

Si je posais la question, c’est que votre travail a parfois un lien avec le bruitisme, voire le noise, et que Prune, par exemple, m’a fait penser à certains ouvrages « naturalistes » de Daniel Menche Le bruit est un concept important dans nos compositions, il y est présent sous plusieurs formes. Il peut par exemple être porteur d’information, comme lorsque le bruit de la bande dans l’écho d’un signal peut renvoyer les auditeurs aux rapports qu’ils entretiennent avec les vieilles cassettes. Il peut aussi l’être lorsqu’un endroit est trop bruyant pour que nos préparations électroacoustiques puissent se faire entendre à cause du retentissement de bruits ou de problèmes de résonance. C’est cependant à chaque fois un même principe qui le relie à nos travaux de musique. Les résonances des anches et des tubes nées d’un souffle d’air virulent et le bruit électronique forment beaucoup des sonorités de compositions telles que Scour ou Snow. C’est pourquoi, le bruit est un élément que nous prenons en compte. Maintenant, s’agissant du genre qu’est le Noise, même si nous ne nous considérons pas comme des artistes de Noise, beaucoup de musiciens qui le pratiquent nous inspirent. Nous nommerions à nouveau Jason Zeh, parmi les musiciens avec lesquels nous avons eu le plaisir de jouer ou prévoyons de jouer bientôt, comme Jason Soliday, Mykel Boyd, Blake Edwards… Et beaucoup d’autres, trop nombreux pour être tous cités.

prune epoxy

Votre discographie est encore peu fournie, et l'on y trouve beaucoup de cassettes. Est-ce un choix de votre part ou repondez-vous aux vœux des labels ? La plupart du temps, c’est une demande du label, mais nous prenons garde de fournir un ouvrage qui corresponde au format.

Quel que soit le format, comment envisagez-vous toute nouvelle « sortie » ? Est-ce à chaque fois un document attestant un œuvre en cours ou une proposition sonore plus spécifique ? Chaque référence est une expérience spécifique, et chaque format un objet bien à part. C’est en fait une combinaison des différentes choses dont tu parles, cela dépend du projet. On peut cependant dire que Big Wad Excisions et Vantage/Cordoned sont des CD qui ont été pensés pour l’écoute domestique et l’expérience personnelle… à tenir dans tes mains.

Pouvez-vous me parler de Vinculum Specimen Edition : est-il une façon pour vous de vous rapprocher des « codes d’un objet d’art » ? Vinculum Specimen Edition est une sortie de Coppice, qui implique deux choses : d’abord, que ce travail concerne d’abord le son ; ensuite, qu’il promet, quelle que soit sa forme, d’autres expériences spécifiques. L’idée de présenter cet ouvrage comme un objet d’art est quelque peu réductrice, même si certainement appropriée, étant donné qu’il est obligé de faire avec les contingences de la catégorisation artistique, de l’édition, de se reproductibilité, du rapport avec le public et de sa « collectibilité », du commerce artistique, etc. Il a aussi à voir avec les fabrications artisanales, le design d’instruments et bien sûr les conventions qui régissent la production de coffrets CD collectors.  Le définir comme un objet d’art à la fois légitime et sape ce qu’est ce travail et ce qu’il sera réellement lorsque l’on entrera en contact avec lui. Peut-être que le mot « objet » serait plus satisfaisant pour le définir. Ce projet de Vinculum est un projet au long cours et malléable, qui a en fait commencé quand Coppice a commencé. L’intention d’identifier, de capturer et de cataloguer les « aspects du son » à fin d’étude et aussi dans le but de les utiliser a eu des répercussions sur les différentes compositions et sorties du projet. Les sons de Vinculum sont présents et renvoient à tout notre travail. Quant à la Specimen Edition, elle renferme une collection de ces sons dans leur forme originelle ainsi que des matériaux qui en sont la source. Catalogue, instrument, son, artisanat, objet. Nous invitons les lecteurs que cela intéresse à aller visiter notre site internet, Futurevessel, qui propose des extraits et en dit un peu plus long sur cette édition…

Noé Cuellar et Joseph Kramer, propos recueillis en janvier et février 2014.
Photos : Dorothée Smith & Nathan Keay
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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