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Le son du grisli
5 janvier 2013

Sonny Sharrock : Monckey-Pockie-Boo (BYG, 1970)

SONNY SHARROCK MONKEY

Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié aux éditions Lenka lente.

Les clichés d’époque du guitariste Sonny Sharrock le montrent souvent les pieds empêtrés dans les câbles, comme inconscient de ce qui se passe autour de lui, la tête absorbée par un tourbillon de sons qu’il faisait passer en force et au feeling. Ce que confirme un peu, à sa manière, la photo de Jacques Bisceglia à l’intérieur de Monkey-Pockie-Boo, où cet Afro-américain taillé comme un colosse empoigne son instrument à bras-le-corps – et à l’image d’un style : hors normes et non intellectualisé.

Son confrère Noël Akchoté, qui lui a rendu hommage dans le cadre d’un bel album sorti par Winter & Winter : « Je me souviens d’un concert de Sharrock à Paris, vers la fin des années 1980. Sa bouche était pleine de médiators de toutes les couleurs, dans sa main chacun ne durait pas plus d’une minute. Ils se fendaient en mille morceaux, explosaient littéralement sous la pression et volaient de partout, sans cesse remplacés par des neufs qu’il sortait de sa bouche. Dans ses mains la guitare semblait à tout moment pouvoir être réduite en un tas de bois, de ferraille et de cendres. Ce n’était pas Jimi Hendrix, il s’agissait vraiment d’autre chose : jamais aucune méthode n’avait parlé de ça. » Et pour cause : Sharrock était un pionnier du genre, sans Dieu ni maître (au point de friser l’arrogance dans les rares entretiens accordés à ses débuts) et, indéniablement, le premier guitariste free de l’histoire du jazz.

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Mouvementée, sa carrière fut criblée d’absences suivies de retours inespérés, mais aussi de désirs contrariés. Elle commença par le saxophone, abandonné pour des raisons de santé au profit de la guitare. En 1965, à New York, il joua brièvement avec Ric Colbeck, Frank Wright, Sunny Murray, avant d’enregistrer avec Pharoah Sanders le superbe Tauhid, où son style singulier (que l’on pourrait apparenter au dripping de Jackson Pollock), produisit l’effet d’une bombe dont la déflagration traversa surtout les suivants Black Woman et Monkey-Pockie-Boo, réalisés dans la foulée, avec son épouse d’alors, Linda Sharrock, dont les vocalises convulsives évoquent Yoko Ono en plus sensuelle, voire Patty Waters dans sa relecture sidérale de « Black Is The Color Of My True Love’s Hair » de John Jacob Niles.

Pour l’épauler sur Monkey-Pockie-Boo, une rythmique de feu : Beb Guérin, bassiste inspiré de beaucoup des sessions BYG (dont l’immense William Parker a reconnu la talent) ; et Jacques Thollot, batteur (et compositeur du mythique Quand le son devient aigu jeter la girafe à la mer), probablement sous LSD (ce qu’il m’a confié alors qu’il avait été programmé en solo à Marseille, au festival Nuits d’Hiver, il y a quelques années).

Noël Akchoté, encore : « Personne n’avait jamais osé se libérer à ce point de toute contrainte. Tout en lui semblait prêt à transgresser, exploser, brûler. Au diable les conventions : Sonny traversait le manche de haut en bas, mais aussi au-dessus, en dessous, sur les côtés, tout autour, sans complexes ni complaisance. » En 1994, Sonny Sharrock succombe à une crise cardiaque, laissant orpheline la scène downtown new-yorkaise et les Elliott Sharp & Co. qu’il a plus qu’influencés.

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