Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le son du grisli
1 janvier 2012

Interview d'Anla Courtis

interview_anla_courtis

Guitariste argentin sorti de Reynols, Anla Courtis est de ces « figures » inquiètes de bruits assez curieuses pour développer un œuvre polymorphe. Après avoir estimé son entente avec Bruce Russell, Eddie Prévost et Mattin, Lasse Marhaug ou Günter Müller, il défend ces jours-ci des travaux réalisés en compagnie de Daniel Menche (Yagua Ovy), Kommissar Hjuler (Die Antizipation Des Generalized Other) ou encore Okkyung Lee, C. Spencer Yeh et Jon Wesseltoft (Cold/Burn)…

J’aimerais vraiment pouvoir trouver quel est mon tout premier souvenir de musique… En fait, c’est peut-être ce que je cherche depuis des années, quelque chose qui vient d’ « avant », même si j’ai bien sûr le vague souvenir d’avoir écouté un vieux tourne-disque ou la boîte à musique de ma grand-mère. D’une façon ou d’une autre, ces vieux souvenirs sont quelque part en nous, et il nous faut les chercher sans arrêt dans l’espoir de les mettre au jour.

Qu’est-ce qui t’a amené à la musique ? La musique m’intéresse depuis toujours mais j’ai commencé à vraiment en jouer à l’âge de 15/16 ans à Buenos Aires. De la guitare classique, je ne sais pas trop pourquoi : on avait une guitare à la maison alors j’ai commencé à en jouer sans rien y connaître, ce qui a été une expérience fascinante, pas forcément aboutie d’un point de vue musical, mais en tout cas très intense pour moi. Ensuite, j’ai voulu en apprendre sur l'instrument. Mais bien que la théorie et la technique peuvent aider un peu, elles peuvent aussi devenir un énorme piège. Je pourrais dire aujourd’hui que j’essaye de maintenir en vie un peu de ce qui s’est passé lors de ces premières expériences ; tu peux jouer aussi bien que tu veux, le plus difficile reste de garder ta fraîcheur d’esprit…

Quels sont les premiers musiciens à t’avoir influencé ? Eh bien, j’ai été influencé par tellement de choses que ma réponse pourrait donenr l’impression d’être celle d’un schizophrène : le classique a été une grande influence, bien sûr, mais il y a aussi eu le punk, le rock psyché, le noise, le free jazz, la musique électroacoustique, les musiques de films et les sons les plus étranges qui pouvaient arriver jusqu’en Argentine à l'époque où Internet ne s'était pas généralisé. C’est comme un énorme cocktail, que je ne peux pas vraiment étiqueter, un mélange que je trouve fascinant.

As-tu eu des modèles à la guitare ? J’aurais du mal à en trouver un… Je veux dire que, lorsque tu es jeune, il est assez simple d’être fasciné par la musique, dans un sens tout t’apparaît comme neuf. C’est comme essayer tous les parfums de glace existants et attendre de voir ce qui se passe ensuite.
 
Passons alors à tes premiers enregistrements… Quels ont-ils été ? Ca s’est fait autour de 1989/1990 avec une guitare, un modeste clavier et un micro entouré d’objets et directement branché à une platine cassette. La technique était donc assez primitive, ne permettait pas l’overdubbing, ce qui fait que je me souviens avoir dû jouer quelques parties de clavier avec les pieds…  

Tes premiers enregistrements publiés l’ont été sur cassettes, c’est bien ça ? Si je ne me trompe pas, la cassette intitulée Burt Reynols Ensamble du groupe du même nom (qui ne s’appelait donc pas encore Reynols tout court) a été la première à avoir été éditée, c’était en 1993 et les copies sont parties assez rapidement. Nous avons produit ensuite quelques cassettes « faites à la maison » en Argentine qui n’ont pour la plupart jamais été rééditées. Ensuite, je suis entré en contact avec la scène internationale underground amatrice de cassettes, ça a été une réelle découverte pour moi : ma première cassette solo, Poliestireno Expandido, date de cette période, elle est sortie en 1996 sur le label anglais Matching Head, ce qui a déclenché beaucoup d’autres sorties. Les CD-R n’étaient pas encore d’une approche facile, la cassette était le format le plus habituel quand il s’agissait de sortir des musiques n’ayant rien à voir avec le mainstream. Je continue d’ailleurs à sortir des cassettes, mais à l’époque, ce format avait quelque chose du paradis…

Quelle sorte de musique t’animait à cette époque ? Eh bien, pas les tubes qui passaient à la radio, en tout cas j’espère… Pour être honnête, je cherche encore aujourd’hui quel genre de musique je tiens à défendre depuis que j’ai commencé… Allez, tentons de la définir :  « folk music for seer protons ».
 
De tes débuts à aujourd’hui, ta musique te semble-t-elle avoir subi une évolution ? Une évolution ? C’est du Darwinisme musical ? J’ai du mal à penser en ces termes… Bien sûr, un processus d’enregistrement long de plusieurs années fait que les choses  changent, mais il m’est plutôt délicat de me rendre compte de quoi il retourne vraiment. Ca tient du truc qui croît de lui-même, une drôle de plante anarchique peut-être…

Quels sont les premiers musiciens du bruit auxquels tu t’es intéressé ? Eh bien, l’Argentine a été un pays plutôt isolé avant qu’arrive Internet, ce qui m’a empêché d’écouter beaucoup d’artistes du noise à mes débuts. Avec le temps, j’ai découvert des musiciens travaillant sur le bruit au Japon, en Europe, aux Etats-Unis ; plus tard, j’ai eu la chance de rencontrer nombre d’entre eux en tournée. A mes débuts, je dois avouer que je travaillais à Buenos Aires avec un manque d’information considérable et des ressources limitées… Mais je suis aujourd’hui persuadé que cela a pu constituer un avantage pour moi…

Tu pourrais aujourd’hui passer pour une figure du genre… Que te trouves-tu comme points communs avec des musiciens comme Lasse Marhaug, Daniel Menche, Kommissar Hjuler… ? Merci du compliment,  mais si je dois commencer à donner mon avis en tant que « figure », je préfère en terminer là ! Maintenant, j’aime vraiment beaucoup jouer et ai beaucoup appris en jouant avec des gens comme Lasse ou Daniel, des types vraiment sympathiques et d’incroyables musiciens. Je n’ai pas rencontré le Kommissar en personne mais par mail interposé il est cordial aussi et je suis sûr qu’il est très amusant. La liste de mes collaborateurs est assez longue, il faudrait aussi que tu entendes le groupe avec lequel je joue en France, L’autopsie a revelé que la mort était due à l’autopsie : Sébastien Borgo, Nicolas Marmin et Franq de Quengo sont de vrais maîtres de la transmigration de la subtilité française.

Comment as-tu rencontré ces subtils Français ? Je les connais depuis ma première tournée en France, mais on a véritablement commencé à jouer ensemble en 2004 lorsque je les ai rejoints à Roubaix à l’occasion d’un concert qu’ils donnaient avec Damo Suzuki. Nous sommes ensuite restés en contact et avons prévu de monter un projet ensemble. L’autopsie a débuté en 2007,  nous avons donné pas mal de concerts et à force de jouer sur scène nous nous sommes découvert un goût commun pour la musique « acouscousmatique ». Je les rencontre à chaque fois que je me rends en Europe – il y a quelques mois, nous avons donné un concert à Radio Libertaire. A ce jour, nous avons sorti deux LP, une cassette-cercueil et d’autres disques arrivent…

De tes nombreuses collaborations, Porter Records a récemment tiré une compilation, The Torrid. Ces collaborations remettent-elles ç chaque fois en question ton approche musicale ? Si tu détailles le livret de cet album, tu remarqueras que je ne joue pas deux fois dans la même combinaison. Bien sûr, ce serait plus simple de répéter éternellement la même chose, mais souvent l’option la plus confortable est loin d’être la bonne… Je crois qu’il est impératif de prendre quelques risques si l’on veut découvrir quelque chose de neuf et d’intéressant. Lorsque tu collabores, tu as des choix à faire et tu dois évidemment écouter ce que joue celui qui est à tes côtés et tisser à partir de là, sans quoi collaborer ne sert à rien. Le résultat est donc ce qui sort de cette combinaison, toujours différente, qui tient un peu de la chimie. En conséquence, cela a un impact sur ta propre musique même s’il est assez difficile de réussir à prédire leurs effets.

Avec Aaron Moore, par exemple, tes échanges ont accouché de deux disques : Brokebox Juke et Courtis/Moore. C’est un travail un peu à part dans ta discographie, d’un atmosphérique expérimental qui change… Courtis/Moore est un disque qui date de 2010 et contient des travaux enregistrés l’année d’avant lors de concerts… En quelque sorte on peut dire que c’est un live dont Aaron a sélectionné les parties les moins évidentes afin que ce disque sonne différemment du premier. C’est toujours très drôle de tourner avec lui, nous ne parlons pas beaucoup avant les concerts, nous jouons tout simplement, tout se passe assez naturellement.

Pogus a, il y a quelques années, publié certains de des travaux sur bandes… Ces expériences changent-elles quelque chose à ton « langage musical » ? C'est une compilation de travaux sur bandes qui datent des années 90. Se servir d’un magnétophone, d’une guitare ou d’un autre instrument, peut changer les choses mais seulement jusqu’à un certain point – sur ce disque, on trouve des guitares enregistrées sur les bandes en question –, je pense en effet que le processus musical l’emporte sur les moyens techniques. La musique charrie une sorte de langage non verbal mais tout ça reste assez mystérieux, le musicien peut se transformer en véritable « médium » ; à partir de là, il est difficile de dire qui dit quoi à qui…
 
Ce langage a-t-il affaire avec le silence autant qu’avec les bruits ? Je dirais que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg…

Anla Courtis, propos recueillis en janvier 2012.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

Commentaires
Newsletter