Dennis Gonzalez : A Matter of Blood (Furthermore, 2009)
On connaît l’attachement du trompettiste texan Dennis Gonzalez pour la Great Black Music, pour un jazz qui revendique son histoire et son identité de musique populaire mais qui refuse de se figer dans une pose folklorique, un jazz qui puise sa modernité dans les risques de l’improvisation et de l’exploration d’ailleurs tant musicaux que géographiques.
Souvent, dans les disques de Dennis Gonzalez, on retrouve de grandes figures tutélaires du jazz d’avant garde. Ces « gardiens du temps » (car outre incarner une certaine Histoire, ils sont souvent batteurs comme Louis Moholo, Andrew Cyrille et Famoudou Don Moye ou contrebassistes tels Henry Grimes ou Malachi Favors), incarnent certainement cette préoccupation qu’a le trompettiste de s’inscrire dans le continuum cher à l’Art Ensemble of Chicago : « Ancient to the Future ». Ici, Reggie Workman, 76 ans, offre la pâte inimitable de sa contrebasse au disque et concourt au surgissement de la sonorité d’ensemble, ample et énigmatique. Il est, sur tous les morceaux, époustouflant de justesse, de tendresse, de gravité.
Curtis Clark, au jeu de piano impressionniste, distille ses notes comme on troue le noir et conforte l’installation d’un climat orageux. L’électricité dans l’air, c’est le batteur Michael Thompson, qui semble être comme à son habitude partout à la fois, feu follet disparaissant ici pour aussitôt renaître là. Et Dennis Gonzalez bien sûr, qui joue si intensément que chaque note semble suspendue… Le trompettiste est aussi pertinent dans le jeu ostinato (Arbyrd Lumenal) que dans les improvisations les plus libres (Anthem for The Moment).
Enfin, Dennis Gonzalez se pose véritablement comme leader sur cette session, non en occupant le terrain à tout prix mais en donnant une direction et une cohérence esthétiques au disque. Celui-ci s’ouvre par une reprise d'Alzar la Mano de Remi Alvarez (saxophoniste mexicain que Dennis avait invité à jouer avec lui au Vision Festival de New York en 2006) et se clôt par une improvisation collective, Chant de la Fée. Entre les deux, trois longues compositions de Gonzalez et trois courts interludes composés par chacun des trois autres musiciens de cette session. Outre l’équilibre réfléchi qui sous-tend cette musique ruisselante de vie, on retrouve là trois éléments cruciaux du jazz : l’inspiration, l’improvisation et la composition. C’est un disque magistral.
Dennis Gonzalez : A Matter Of Blood (Furthermore Recordings)
Enregistrement : 2008. Edition : 2009.
CD : 01/ Alzar La Mano 02/ Interlude : Untitled 03/ Arbyrd Lumenal 04/ Interlude : Fuzzy’s Adventure 05/ A Matter Of Blood 06/ Anthem For The Moment 07/ Interlude : 30 December 08/ Chant De La Fée
Pierre Lemarchand © Le son du grisli