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Le son du grisli
18 février 2006

Interview d'Ivo Perelman

perelman

Saxophoniste brésilien expatrié à New York, Ivo Perelman est venu au free jazz par goût, avant d’offrir au genre quelques-uns de ses disques les plus tourmentés. Partenaire de Geri Allen, Rashied Ali, Andrew Cyrille, Reggie Workman ou Dominic Duval, Perelman signe cette année Introspection, album sophistiqué imposant un jazz sulfureux autant que méditatif.

Où et quand êtes vous né ? Je suis né à São Paulo, au Brésil, le 12 janvier 1961.

Quel est votre premier souvenir en rapport avec la musique ? Mon grand-père aimait beaucoup le violon et l’opéra. Ma mère jouait et enseignant le piano classique à la maison. Enfant, je me souviens aussi avoir écouté beaucoup de pop music brésilienne et américaine à la radio.

Vous avez débuté dans la pratique d’un instrument avec le violoncelle, je crois… Qu’est-ce qui vous a, ensuite, fait abandonner cet instrument pour le saxophone ? En fait, mon premier instrument a été la guitare, lorsque j’avais 10 ans. Je l’ai étudiée pendant quelques années au travers du répertoire classique. Et puis, j’ai eu faim d’autres genres de musique et j’ai commencé à me frotter à d’autres styles et d’autres instruments : le violoncelle, dans un orchestre à cordes ; la guitare électrique dans un groupe de rock ; la mandoline et la guitare classique au sein de choros traditionnels et de groupes orientés bossa nova ; la clarinette dans un Jazz Band façon Nouvelle Orléans ; et, un moment, j’ai étudié le trombone, le piano et la batterie. Jusqu’à ce que j’entende Stan Getz, John Coltrane, Wayne Shorter et Victor Assis Brasil (un magnifique altiste de Rio de Janeiro), et que je décide d’étudier le saxophone ténor sérieusement. J’ai senti que là se trouvait la voie que je cherchais.

Comment avez-vous débuté en tant que musicien professionnel ? J’ai commencé par jouer du jazz Nouvelle-Orléans et participé à quelques carnavals, au Brésil, quand j’avais 18 ans. Et puis, je suis parti pour les Etats-Unis et l’Italie, où j’ai joué dans des concerts de samba, de bossa nova, et de jazz grand public. Avant que je ne réalise que mon cœur se trouvait du côté d’une musique expressive, plus créative, au contact de musiciens comme le bassiste Fred Hopkins, que j’ai rencontré à New York à la fin des années 1980.

Quels autres personnages vous ont aidé à devenir le musicien que vous êtes aujourd’hui ? J’apprends en fait sans cesse, auprès de tous les musiciens avec qui je joue et enregistre. Mais il est vrai que j’ai beaucoup appris auprès du violoncelliste Pedro de Alcântara qui enseigne à Paris la Technique Alexander (Technique prônant une rééducation dans le but de mieux développer le contrôle des réactions humaines, développée par F.M. Alexander (1869-1955), ndlr.) appliquée aux musiciens. Il m’a enseigné la prosodie grecque appliquée à la musique, ce qui ‘ma beaucoup aidé à réévaluer ma perception du rythme mélodique.

Aujourd’hui, vous n’êtes plus seulement musicien, mais aussi peintre. Quel lien faites-vous entre ces deux pratiques artistiques ? Certains des titres de votre disque Introspection portent le même titre que certaines de vos peintures reproduites dans le livret. Votre peinture nourrit-elle votre musique, ou est-ce l’inverse ? En fait, la peinture et la musique font partie de moi comme me sont propres l’épreuve artistique et l’esthétique. Mon approche artistique part toujours du silence ou d’un canevas vide, et l’engouement que j’éprouve à créer à partir de rien, sans idées préconçues, est le même, qu’il s’agisse de musique ou de peinture. Les concepts de densité, de timbre, de structure et d’équilibre, je les applique à ces deux formes d’art, et l’effet d’une ligne graphique peut trouver un écho puissant dans le rythme musical. Le son et la lumière sont, après tout, différentes manifestations de l’énergie. Notre système nerveux les perçoit comme différents, mais au-delà de cette perception, dans quelque région reculée de notre cerveau, il ne s’agit plus que de vagues d’énergie d’amplitudes différentes. Comment j’arrive à arranger de façon artistique ces énergies internes est ce qui m’importe. Le résultat de tout cela n’est qu’une conséquence. Reste maintenant à savoir comment la peinture et la musique influent l’une sur l’autre, et là est la véritable importance. Elles sont en constante communication, se mettent en valeurs l’une l’autre, tirant profit d’une émulsion et trouvant des connexions neurales qui, autrement, ne seraient qu’endormies, voire inexistantes. Depuis que j’ai commencé à peindre, cette double voie artistique m’a fait atteindre un état contemplatif qui a apporté calme et paix à ma vie. Cela m’a aussi rendu beaucoup plus sensible à d’autres formes d’art, comme la photographie ou, à un plus haut degré encore, la danse.

Pouvez-vous me présenter votre dernier enregistrement, Introspection, ainsi que les musiciens qui y ont participé ? Introspection est le troisième enregistrement d’une série impliquant des cordes (The Alexander Suite, en compagnie du CT String Quartet et Sieiro, avec le violoncelliste Thomas Ulrich, étant les deux premiers). Je me sens très proche des instruments à cordes, et j’ai parfois l’impression de jouer moi-même d’un de ces instruments. C’est Dominic Duval, partenaire de longue date et virtuose reconnu, qui m’a initié au merveilleux travail de la chanteuse et violoniste Rosie Hertlein. Quant au batteur Newman Baker, il m’a beaucoup impressionné lors de notre première rencontre, il y a une quinzaine d’années, par le biais d’un ami commun, Fred Hopkins. On peut donc dire que cette session est une réunion d’anciens et de nouveaux amis, ayant des points commun et, bien plus encore, de nouveaux territoires à explorer. Et je pense que nous avons réussi ensemble à élaborer une heure sensible, profonde, pendant laquelle se déroule un périple créatif, honnête et rare.

A écouter Introspection, il semble que vous avez mis la main sur un jazz particulier… Par le passé, vous avez enregistré des disques d’un free jazz rageur et enthousiasmant et vous semblez ici avoir mis la main sur ce qu’on pourrait définir comme étant un « cool free jazz »… Avez-vous remarqué cela ? Oui, j’ai remarqué ces changements, et ils sont les bienvenus étant donné que la métamorphose est ce qui nourrit ma curiosité et mon besoin d’évoluer sans cesse. Nous évoluons, dans notre vie, selon les effets de tellement de structures mentales et de concepts qu’il est malhonnête d’enfermer un artiste dans des intentions marketing, et perdre ainsi de vue le cheminement de l’ensemble de son développement artistique. Je ne sais pas où je vais, mais l’introspection est une chose que j’aime interroger à l’heure actuelle et puisque mes années d’apprentissage concernaient essentiellement la musique classique, il me semble naturel que ce disque tende vers une approche plus méditative d’un tel langage. D’où le titre de cet album.

Sans doute dérivez-vous aussi en musique vers une quiétude tout orientale. A l’image de votre travail de peintre, assez proche en définitive de la calligraphie chinoise ? Mes premiers travaux de peinture avaient plus à voir avec la perception d’Expressionnistes abstraits américains comme Franz Kline, Helen Frankenthaler et Sam Francis. Avec le temps, j’ai distillé ces influences et les ai confrontées au pouvoir et à la subtilité de la ligne pure, simple et nue. Cela m’a tout de suite transporté jusqu’aux traditions culturelles orientales et à leur peinture, qui m’ont ensuite fait réaliser que mon saxophone hébergeait plus d’espace que je ne pouvais le soupçonner.

L’évidence assenée veut pourtant qu’un artiste brésilien soit à jamais lié à sa culture traditionnelle, et l’un de ses représentants naturels… Les forces pan-culturelles ont façonné mon travail à toutes les époques de ma vie et, évidemment, à l’époque où je vivais au Brésil. Mais cela fait 25 ans que je ne vis plus là-bas ; j’ai donc respiré d’autres, et beaucoup, d’environnements culturels divers et variés. Aujourd’hui, ces souvenirs afro-brésiliens tiennent plus de l’épice que de la composition essentielle du plat.

Où habitez-vous, d’ailleurs, aujourd’hui ? Cet endroit est-il un compromis satisfaisant entre celui où vous avez passé votre enfance, et celui auquel vous pourriez aspirer ? Cela fait donc 25 ans que j’ai quitté la ville de mes origines, São Paulo, et cela a valu le coup. Si j’envisage d’aller passer un peu de temps en Chine ou au Japon, Brooklyn, New York, est mon chez moi, et je suis très heureux d’y demeurer, auprès de tant de musiciens créatifs qui partagent certaines des idées sur lesquelles je travaille.

Interview réalisée en février 2006. Remerciements à Ivo Perelman.

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