Interview de Cyro Baptista
Exceptionnel percussionniste brésilien, répondant avec enthousiasme aux sollicitations musicales diverses et variées, Cyro Baptista fait partie de ces créateurs protéiformes, salués souvent et excusés parfois par la mise en avant d’un manifeste personnel et original. Défendant la relativité des gestes, le sien gagne en mystère lorsqu’il approche, jusqu’à se fondre avec, les bizarreries d’un personnage qui cultive un penchant grisant pour l’absurdité, au point que délire et confusion mentale se trouvent parfois à deux doigts d’être confondues. Mais qu’importerait à Cyro, qui a choisi depuis longtemps de faire comme il lui plaît, travaillant l’antimoine musical ou réévaluant les limites du bon et du mauvais goût, ne perdant jamais le fil d’une réflexion qui profite des entremêlements ou répondant à la question qu’il préfère parmi les deux qu’on lui pose…
Cyro, où et quand êtes-vous né ? Je suis né au Brésil, où poussent les palmiers et chante le Sabia.
Comment êtes-vous venu à la musique ? C’est la musique qui est venue à moi / J’étais comme un aimant / J’ai cherché à fuir / Mais Elle m’a toujours débusqué.
Quelles étaient vos aspirations musicales lorsque vous étiez débutant ? Quelles sont-elles aujourd’hui ? Au début, mon voeu était de jouer des percussions lors de la plus grande manifestation dédiée à la vue et l’ouïe de l’humanité jamais donnée sur cette planète.
Et vous semblez ne jamais vous arrêter, jouant tellement que vous ne pouvez faire autrement que de côtoyer des musiciens différents – de Derek Bailey à Sting - et que l’on pourrait se demander si vous êtes toujours en accord avec la musique des disques pour lesquels vous avez enregistré… A partir du moment où je commence à me sentir en désaccord avec la musique que je joue ou avec celle que j’ai pu jouer, alors, au même moment, quelque part dans le monde, quelqu’un essaye, pour une raison inconnue, d’extraire les tripes du ventre d’un autre être humain. Mais, enfin ! Ce que je fais n’est que de la musique…
Certes, mais cette passion pour la musique au point de parfois privilégier la participation aveugle plutôt que l’édification d’une esthétique raisonnée est unique… Est-ce elle qui vous autorise à parfois reléguer l’esthétique au second plan ? La passion de composer et de jouer de la musique est ce qui façonne, transforme ou déforme la réalité de l’Esthétique.
Vous sortez aujourd’hui Love The Donkey, sur le label Tzadik. Son écoute établit un parallèle certain avec l’univers de Tom Zé… Pensez-vous que la musique d’aujourd’hui peut exister sans explorer son histoire ou ses traditions ? Love The Donkey est un disque basé sur les concerts donnés ces dernières années avec le groupe Beat The Donkey. Ce show s’est construit autour de mon envie de relier les sphères de la musique, du théâtre et de la danse. Pour cela, j’ai institué comme matériau de base un support très personnel, fait d’images de mon enfance et d’autres racines que je traîne avec moi. Beaucoup d’artistes, de nationalités et de backgrounds différents, sont passés par Beat The Donkey et ont contribué à la construction et à la déconstruction de l’histoire et des traditions sur lesquels nos spectacles ont été bâtis. C’est ce que Nana Vasconcelos appelle les « Traditions modernes. »
Est-il plus simple pour vous d’évaluer ces « traditions » aux saveurs brésiliennes depuis New York ? Je ne pense pas jouer d’une musique emprunte d’une quelconque saveur brésilienne. Je laisse ça à ceux qui jouent de cette bossa nova nouvelle formule très populaire en Europe. Love The Donkey défend une musique de bon et mauvais goûts, mélangée à des odeurs et à la sueur extraite de ce magnifique premier quart de siècle qui coule au rythme où je traîne mon cul dans La Belle New York. Bien sûr, dans chacun de mes enregistrements et concerts, on peut trouver le Brésil, mais pas parce que je suis une « marionnette folklorique » qui vient de là-bas. C’est plutôt évident, sur Love The Donkey, parce qu’on s’y délecte de la chair de chacun des représentants du paysage musical qui nous entoure. J’ai pu jouer avec des musiciens que j’aime, comme Tom Jobim, Caetano Veloso et Milton Nascimento. Mais j’ai aussi joué avec Santana, Art Blakey et John Zorn. The Donkey appartient au monde entier.
Cyro Baptista, novembre 2005. Remerciements à Dave Weissman.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli